Burn-out: ils témoignent
François, 61 ans, est informaticien. Sophie, 52 ans, travaille dans la pub. Leur point commun : ils ont tous deux vécu un burn-out qui a eu de grosses répercussions sur leur vie. Ils racontent.
Propos recueillis par Patricia Bernheim
«Un matin de février, je me suis effondré en larmes en pleine séance de travail. Je me suis levé, je suis sorti de la salle, j’ai pris ma veste, je suis rentré chez moi et je m’y suis terré. J’ai débranché les téléphones fixes et mobiles, l’ordinateur et j’ai « fait le mort ». Lorsque j’ai vu mon médecin traitant, le diagnostic est tombé très vite. Burn-out. J’avais trop tiré sur la corde pendant trop longtemps. Il m’a prescrit des antidépresseurs, des anxiolytiques et a ordonné un arrêt de travail de deux semaines. J’en étais mortifié. Comme on fonctionne en sous-effectif, mes collègues allaient en pâtir. Mais il avait raison. Travailler, j’en étais incapable. »
L’histoire de Sophie commence de manière similaire. « J’étais en voiture, je rentrais du travail, et les larmes ont coulé sans interruption de Genève à Vevey. Arrivée chez moi, j’ai appelé mon chef pour lui dire que je ne viendrai pas le lendemain. Il m’a répondu que je le foutais dans la m… C’était le dernier de mes soucis. J’étais allée au bout de ce que je pouvais donner. Mon médecin m’a prescrit des médicaments et m’a mis en congé maladie. J’ai passé les trois semaines suivantes à dormir 18 heures par jour et à pleurer le reste du temps. »
Tous deux décident d’avoir recours à un soutien psychologique pour comprendre ce qu’ils viennent de vivre et se reconstruire. Parallèlement, chacun s’efforce aussi de se reconnecter avec ses ressources intérieures. François fait d’immenses promenades dans la campagne avec son chien, se plonge des heures durant dans la lecture ou dans l’écoute de la musique et se rend trois fois par semaine à la piscine. Sophie se met à méditer, passe des heures dans son jardin, découvre toutes sortes de massages et l’aromathérapie.
Une lente remontée
Les semaines d’arrêt maladie se suivent et commencent à se compter en mois. L’un et l’autre remontent gentiment la pente. « J’ai réalisé que j’allais mieux le jour où j’ai pu m’émerveiller devant un bourgeon de feuille. Je commençais à voir qu’il y avait de la lumière au bout du tunnel. Mais il me suffisait d’imaginer reprendre le boulot pour que l’angoisse me terrasse », raconte François. Sophie fait le même constat. « J’avais retrouvé un peu d’énergie, des envies, des petits plaisirs. Tant que je ne pensais pas au travail, tout allait à peu près bien. En revanche, la seule perspective de devoir y retourner m’était insupportable. Je me mettais à trembler de la tête aux pieds, à pleurer ». Au bout de quatre mois, l’assurance perte de gain de l’entreprise qui emploie François l’incite vivement à faire les démarches pour obtenir l’assurance invalidité. Il refuse d’entrer en matière. Fidèle employé depuis plus de 20 ans, à quatre ans de la retraite, il tente de négocier un poste moins stressant avec la direction. En vain. Il obtient en revanche d’être licencié. « Je pensais que ça allait me soulager, mais cela a renforcé mon anxiété. J’allais devoir affronter le monde kafkaïen du chômage, continuer à subir des pressions, m’agiter pour trouver un emploi sans aucun espoir d’en trouver. Ca me semblait tout aussi insurmontable ». Il prend alors la décision radicale d’en finir avec le monde professionnel. « Ma femme, qui travaille, et moi avons révisé tous nos besoins à la baisse. On a déménagé dans un appartement plus petit, vendu la voiture, on ne va plus au restaurant ni en vacances. C’est une décision coûteuse à certains points de vue, mais ma santé est plus précieuse que ça. »
Le burn out a aussi amené Sophie à prendre des décisions radicales. « Dans ma tête, une porte s’est ouverte lorsque j’ai réalisé que je n’étais pas prisonnière de ce boulot. Je pouvais le quitter et m’inscrire au chômage le temps de retrouver un autre emploi. C’est ce que j’ai fait, persuadée que je retomberais très vite sur mes pieds. Je me suis trompée ». Sophie essuie refus sur refus, mais obtient des mandats ponctuels. Elle s’établit alors à son compte. « Je ne veux plus travailler à plein temps, donc je me limite aux mandats nécessaires pour vivre correctement. Je gagne beaucoup moins qu’avant, mais je profite d’une liberté qui n’a pas de prix. J’organise mon temps comme je le veux. Je peux passer l’après-midi dans mon jardin et travailler le soir. Les pressions existent toujours, mais elles m’atteignent moins parce que je ne les subis pas à longueur de journée ».
Et après ?
Dix mois après son burn-out, François continue à se reconstruire. Il n’a pas encore retrouvé toute sa joie de vivre et son énergie. « J’ai considérablement ralenti mon rythme et n’ai aucune intention de revenir en arrière. Je n’ai jamais remis les pieds dans l’entreprise depuis ce fameux matin de février. Voir le bâtiment suffit à me plonger dans l’angoisse. Je fais des détours pour l’éviter ».
Depuis qu’elle a craqué, il y a 10 ans, Sophie a connu des périodes de « surchauffe », mais n’a plus refait de burn-out. « J’ai une meilleure hygiène de vie qu’avant. Je suis plus attentive à ce que je mange, à mes heures de sommeil et à avoir régulièrement une activité physique à l’extérieur. J’ai appris à négocier les délais et à dire non lorsque je ne peux plus absorber de nouveaux mandats.
Je sais aussi reconnaître les signaux d’alarme : fatigue au réveil, larme facile, sentiment d’être débordée. Dans ces cas-là, je débranche tout et je fais une sieste, je jardine un moment, je vais me faire masser et je ne me sépare pas de mon huile essentielle d’Epinette noire. Ca me permet de retrouver assez rapidement mon équilibre ».