Fukushima: quelles conséquences?
Les secousses telluriques qui ont touché le Japon en mars dernier et détruit partiellement la centrale nucléaire de Fukushima ont provoqué une catastrophe nucléaire dont on ne connaît pas encore toutes les conséquences sur la santé des sujets exposés.
Par le Dr Michel Brack, spécialiste du stress oxydatif
Afin d’appréhender ces conséquences dans leur ensemble, il convient avant tout de dis-tinguer les conséquences de l’irradiation de celles de la contamination.
Une irradiation est l’exposition directe d’un organisme aux rayonnements émis par les substances radioactives. Ceux-ci sont dits « ionisants », car ils sont très énergétiques et capables d’arracher un électron à une molécule cible.
Cette histoire d’électrons en rappelle une autre : celle du stress oxydatif qui n’est que la réaction en chaîne d’une « chasse » à l’électron, de molécules en molécules, chaque molécule agressée étant dénaturée avec les conséquences que l’on sait sur les cellules, les tissus et les organes touchés… De fait, les radiations ionisantes représentent un des modèles descriptifs exemplaire de stress oxydatif.
Au cours d’une exposition accidentelle à ces rayons, la molécule d’eau est la première touchée, on parle de « radiolyse de l’eau ». Lors de cette radiolyse, la molécule H2O est « explosée » et libère des radicaux libres très toxiques. Or, notre corps est composé à 65% d’eau et l’eau est partout, même au sein des structures en béton censées contenir la radioactivité des réacteurs nucléaires. La radiolyse de l’eau est donc un phénomène très préoccupant pour tous les physiciens du nucléaire.
Ces phénomènes d’irradiation sont cependant bien connus et, la plupart du temps, sans danger. Ainsi, lorsque les doses sont faibles, on parle d’irradiation naturelle, comme celle induite par les rayons cosmiques ou la radioactivité interne du corps humain. En revanche, des questions se posent quant à l’innocuité réelle de ces rayons en haute altitude, sachant qu’ils sont suffisamment énergétiques pour traverser les carlingues des avions et exposer le personnel navigant, du moins celui des longs courriers.
Les rayonnements ionisants sont également utilisés en médecine, lors des examens radiographiques et, en particulier, lors des scanners. Là aussi, bien que les doses utilisées soient maîtrisées, ces examens doivent être limités à leur stricte nécessité.
Il arrive cependant, dans des situations très particulières, que l’usage médical des rayonnements ionisants soit responsable de complications redoutables. L’exemple le plus démonstratif de cette toxicité est celui des fibroses dites post-radiques, qui touchent les organes irradiés pour des raisons thérapeutiques (poumons, vessie, intestins) et se manifestent par des destructions progressives des tissus par stress oxydant majeur, laissant place à une fibrose évolutive parfois dramatique.
Dans le cas des accidents nucléaires, les doses incriminées sont beaucoup plus élevées. Les conséquences sur la santé dépendent directement de ces doses, de la durée d’exposition, de la capacité de ces rayons à pénétrer plus ou moins profondément dans l’organisme et de l’étendue de la surface corporelle exposée.
Ainsi, une irradiation localisée, telle qu’elle se produit lors de la prise en main accidentelle d’une substance radioactive, aura des effets équivalents à ceux d’une brûlure de la peau. Sa gravité dépendra de la dose radioactive reçue : du simple érythème à la nécrose des tissus imposant parfois une amputation.
L’irradiation corporelle plus globale a des conséquences plus générales. Et lorsque les doses sont très importantes, comme cela fut le cas lors de l’explosion de la centrale de Tchernobyl, le pronostic vital peut être engagé. Celui-ci est en partie lié aux atteintes de la moelle osseuse avec chute des globules blancs, en particulier des lymphocytes (responsable d’une immunodépression grave) et des plaquettes.
Les premiers signes sont des nausées et des vomissements, des céphalées importantes, des diarrhées, une sécheresse buccale avec atteinte douloureuse des parotides. Toutes les cellules, tous les tissus peuvent être touchés. Les plus fragiles, en dehors des organes hématopoïétiques (moelle osseuse par exemple), sont les tissus embryonnaires, les gonades, la peau, puis les muqueuses, notamment intestinales, les muscles et les tissus nerveux.
À plus long terme, souvent plusieurs années, les conséquences de ces irradiations concernent essentiellement l’apparition de cancers et les malformations fœtales. L’altération de l’ADN par les radicaux libres, ADN des cellules germinales et ADN des cellules de n’importe quel organe, est le phénomène commun à ces complications tardives redoutables.
Du côté de la contamination La contamination, quant à elle, correspond à la présence non désirée d’une substance radioactive dans un milieu ou une matière. Elle concerne le corps humain aussi bien que l’environnement.
Pour l’organisme humain, on parle de contamination externe ou interne. La contamination externe correspond au dépôt de poussières radioactives sur la peau et les cheveux, la contamination interne à l’incorporation de ces substances par voie respiratoire ou digestive, voire transcutanée ou par l’intermédiaire d’une blessure ouverte.
Une fois dans l’organisme, ces substances vont circuler dans le sang et, pour quelques unes d’entre elles, s’accumuler dans certains organes. Ainsi, la glande thyroïdienne, qui capte naturellement l’iode, accumule de la même façon l’iode radioactif. L’os, ne faisant pas la différence entre le calcium et le strontium, accumule le strontium radioactif. Les substances continuent à émettre leurs rayons ionisants avec les conséquences décrites au chapitre précédent. L’organisme se comporte alors comme une véritable source radioactive émettant des rayonnements en son sein et sur son entourage…
Les conséquences sur la santé sont donc assez identiques à celles de l’irradiation, en particulier pour ce qui concerne le risque de cancers qui peuvent se déclarer à plus ou moins long terme. En revanche, la zone touchée est le plus souvent localisée, notamment du fait du tropisme spécifique pour un organe de certaines substances radioactives, comme l’iode par exemple. Il n’en reste pas moins que ces contaminations restent très préoccupantes et inquiétantes, nonobstant les discours souvent rassurants des autorités.
Lors de telles catastrophes, tout peut être contaminé : l’air, les plantes, les animaux, l’eau, conférant à ces contaminations une expansion verticale (d’une espèce à l’autre) et horizontale (par l’air et l’eau). De plus, les substances incriminées sont multiples et la demi-vie de leur radioactivité s’exprime pour certaines en siècles, voire en millénaires…
Plus que jamais, il apparaît important de distinguer les conséquences connues à court et moyen terme sur la santé, de celles à plus long terme, que l’on maîtrise moins et qui pourraient inviter le corps médical à s’intéresser plus activement à l’exploration du stress oxydant chez certains de leurs patients.