La santé: une affaire de bon sens
L’apport de la médecine actuelle à l’amélioration de la santé humaine est indéniable. Pourtant, tous les acteurs concernés déplorent la pauvreté de notre médecine préventive.
Par le Dr Michel Brack
La haute technologie et le rythme effréné de nouvelles découvertes a pour corollaire un relâchement des comportements en lien avec une augmentation du risque des maladies mortelles évitables et ce, malgré la hausse des dépenses et des financements de la santé.
La prévention n’est pas une idée nouvelle. Elle fait corps avec la médecine depuis l’Antiquité. Les médecins ou les savants de l’époque étaient aussi des « sages » et c’est un peu de cette sagesse qu’il nous faut retrouver…
Bien que ne disposant pas de connaissances « approfondies » sur les microbes et la nature de certaines maladies, les savants antiques concentraient leurs efforts sur la prévention en se basant sur leurs observations pratiques. De ces observations naissaient des recommandations qui les guidaient dans la construction de leurs cités, l’application de mesures d’hygiène, leur alimentation et leur conception des interactions entre l’homme et le monde.
Ainsi, les marais étaient évités car l’odeur y était épouvantable et qu’on y attrapait la fièvre. Certains endroits étaient considérés comme maudits car on y tombait malade, probablement du fait de la présence de vecteurs de maladies ou de toxiques chimiques polluant déjà les sols. Et si les risques liés aux eaux usagées étaient parfaitement appréhendés, les bienfaits des sources thermales étaient connus et la quarantaine appliquée.
L’histoire de la pratique de l’art de la médecine dans la plupart des civilisations antiques rélève qu’une place importante était accordée à l’observation clinique et à l’utilisation des produits de la nature. Les médecins antiques ne se contentaient pas de soigner le corps mais aussi l’âme des malades. Et notre XXIème siècle pourrait apprendre beaucoup de nos lointains prédécesseurs…
De savants mélanges Il y a 5000 ans, les peuples de l’ancienne Égypte transformaient le vin en médicament à l’aide de savants mélanges d’herbes médicinales. Des scientifiques de l’Université de Pennsylvanie ont pu déterminer la nature de résidus contenus dans deux jarres à vin en faisant appel à des techniques d’analyse biomoléculaire très sophistiquées. La première jarre, retrouvée dans la tombe de l’un des premiers pharaons d’Egypte, Scorpion 1er, date de près de 3000 avant Jésus-Christ. Elle contenait un mélange d’herbes de toutes sortes, de la coriandre, de la menthe, de la sauge et de la résine de conifère. L’analyse de l’autre amphore, beaucoup plus récente (5e siècle de notre ère environ), a mis en évidence des mélanges de vin, de résine de pin et de romarin.
Des papyrus anciens prouvent que de telles herbes étaient largement utilisées pour leurs propriétés médicinales, traitant aussi bien les maux d’estomac que l’herpès. Un papyrus byzantin du Ve ou du VIe siècle, conservé à Oxford, fait état d’une liste étonnante de vins enrichis d’épices, d’herbes aromatiques ou de miel leur donnant des propriétés « thérapeutiques » spécifiques. Parmi ces préparations, on trouve du vin à la rose, du vin à la rose dilué, du vin de myrte, du vin épicé, du vin doré de
l’Attique (région entourant la cité d’Athènes en Grèce) ou du vin de pommes.
Le vin à la rose, nommé rhosaton en grec et rhosatum en latin, est une préparation dans laquelle des pétales de rose longuement fermentés sont mêlés à du vin et du miel. La boisson sucrée ainsi constituée, parfois consommée comme apéritif, est censée purger le « phlegme » et guérir la mélancolie et l’anxiété selon Aetius. Pour Galien, c’est un médicament contre la toux et les douleurs de poitrine.
Le vin de myrte, appelé myrsinaton en grec et myrtites en latin, est une préparation utilisée essentiellement en usage externe. On y trouve du monoxyde de plomb, de la cire et de l’huile de myrte dilués dans du vin. Ce cataplasme est utilisé contre les maux de tête et les affections ophtalmiques et comme cicatrisant.
On meurt tôt Au Moyen Age, on s’intéresse peu à la durée de vie. On ne connaît pas sa date de naissance ni, a fortiori, son âge… et l’on meurt tôt. Les alchimistes concoctent potions et élixirs de jouvence. Ils connaissent les plantes qui soignent les maux ordinaires, la fièvre par exemple.
Mais, déjà, entre soigner la santé et aspirer à une bonne vie, le pas est vite franchi. On raconte que Gilles de Rais, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, égorgeait de jeunes enfants pour en extraire le sang dans sa quête de la pierre philosophale et de l’élixir de longue vie. Au XVIe siècle, un médecin suisse, Paracelse, rédige son traité de longue vie pour atteindre 120 ans… Cet ouvrage marque le début d’une nouvelle ère, où faire reculer les limites de la longévité devient plausible. Les premiers centenaires apparaîtront au XVIIIe siècle.
Consommer avec modération… L’ère de l’industrialisation, l’évolution des techniques, l’observation clinique et les premiers essais standardisés vont faire naître une nouvelle médecine, plus scientifique. Mais la démarche médicale reposera toujours, comme à ces débuts, sur un principe de bon sens : la santé est une question de sobriété. Les plaisirs de la vie, de la chair et de la table, sont à consommer avec modération…
Les discours bien-pensants sur ce qu’il est bon de boire, de manger ou de bouger ne manquent pas, mais souvent se contredisent. Alors, pour y voir clair, n’oublions pas, comme les Anciens, que la santé est avant tout une question de bon sens.