Obésité, les régimes restrictifs sont inefficaces
Longtemps considérée comme la preuve d’un manque de volonté de la part du patient, l’obésité est aujourd’hui reconnue comme une maladie chronique par la communauté scientifique. Pour l’enrayer, seule une approche multidisciplinaire est efficace.
Par Patricia Bernheim
Qualifiée d’épidémie mondiale par l’OMS, l’obésité touche aujourd’hui 300 millions de personnes, dont 450 000 en Suisse (7,7% de la population). Un chiffre en constante augmentation (il pourrait doubler d’ici vingt ans), alors que le corps médical multiplie les recommandations et les mises en garde. Le point avec le professeur Alain Golay, chef du Service d’enseignement thérapeutique des maladies chroniques des HUG.
Questions de Patricia Bernheim
Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Prof. Alain Golay: Pendant des années, on a considéré l’obésité comme un symptôme et on l’a associé fatalement à l’idée d’un régime. Les personnes obèses se livrent souvent depuis des années à un parcours du combattant, dépensent des sommes importantes en régimes divers et se retrouvent finalement avec un poids de plus en plus élevé parce que la frustration et la culpabilité qu’ils engendrent conduisent au fameux syndrome du yoyo et à des troubles du comportement alimentaire.
De nombreuses études montrent que les régimes restrictifs, quel que soit le type proposé, sont inadaptés à une maladie chronique comme l’obésité. La volonté du patient n’est donc pas en cause. L’obésité est une maladie chronique, et seul un changement de comportement sur le long terme peut porter ses fruits.
A quoi est due l’obésité?
Prof. A. G.: Tout le monde s’accorde pour dire que les deux principaux éléments sont une réduction de l’activité physique et une modification des habitudes alimentaires. En Suisse, un tiers des personnes n’exerce aucune activité physique pendant ses loisirs, un tiers, une ou deux fois par semaine, et le dernier tiers, trois fois par semaine ou plus. On prend facilement la voiture, même pour de petits trajets, on passe des heures devant la TV à grignoter. Parallèlement, on consomme une alimentation très riche en calories.
Dans ce contexte, la balance énergétique est largement positive et la prise de poids est une conséquence physiologique de l’excès calorique. Mais ce n’est pas tout. Le stress, notre mode de vie, notre vécu sont aussi importants, tout comme le sont les facteurs socioéconomiques. En Suisse, le risque d’être en surcharge pondérale ou d’être obèse est d’au moins 50% supérieur lorsque le niveau d’éducation est bas.
Par ailleurs, plusieurs études ont montré qu’il existe une relation inverse entre la densité énergétique des aliments et leur coût: les aliments à haute valeur énergétique, c’est-à-dire riches en graisses et sucres ajoutés, coûtent moins cher.
En quoi consiste le traitement que vous proposez aux HUG?
Prof. A. G.: Comme les causes de l’obésité sont multiples, la prise en charge des patients doit être multidisciplinaire et personnalisée. Elle ne doit pas seulement être axée sur la perte pondérale, mais viser un changement de comportement sur le long terme. Les soignants ne sont pas là pour imposer, mais pour trouver, avec le patient, ce qui lui conviendra le mieux en fonction de ses besoins, de ses valeurs et de son expérience.
Quels en sont les axes principaux?
Prof. A. G.: Sur le plan diététique, nous travaillons avec le patient sur ce qu’il aime manger et ce qu’il pourrait supprimer sans que cela lui coûte trop sur le plan psychologique, le but étant qu’il modifie son alimentation sur le long terme. On s’intéresse aussi au contexte dans lequel il mange: prend-il le temps de s’asseoir à une table à heures régulières, ou mange-t-il debout à côté du réfrigérateur? On recherche aussi les grosses erreurs qu’il commet, comme les graisses cachées, les boissons sucrées, l’alcool.
En ce qui concerne l’activité physique, nous l’incitons à sortir de la sédentarité par des activités journalières, essentiellement la marche, mais aussi en ayant des activités physiques programmées, trois fois par semaine. Enfin, nous nous intéressons à l’aspect psychologique, lié au stress, aux émotions et à leur lien avec la nourriture. Pour pouvoir changer de comportement, il faut d’abord repérer ce qui déclenche l’envie de manger. Cela peut-être l’ennui, la tristesse, la solitude.
Les patients apprennent à développer des stratégies qui leur permettront de réagir autrement qu’en mangeant lorsqu’ils se sentent tristes ou seuls. Parallèlement, nous leur offrons la possibilité de suivre des cours d’estime de soi, de gestion de soi ou d’art thérapie.
On est donc bien loin des régimes miracles?
Prof. A. G.: On se fait du mal à croire qu’il existe des régimes miracles. Ces derniers font perdre du poids sur le court terme en induisant un déficit calorique, mais perdre du poids, et surtout maintenir la perte de poids, n’est possible qu’en modifiant ses habitudes durablement.
Prévention de l’obésité: il reste beaucoup à faire
Le fait que l’obésité ait été considérée comme un symptôme, et non comme une maladie, a eu plusieurs incidences dans différents domaines. «S’il n’existe aujourd’hui que deux médicaments contre l’obésité, c’est parce que les firmes pharmaceutiques n’ont pas montré un immense intérêt pour le ‘symptôme’ de l’excès pondéral, puisque les assurances ne remboursent pas les médicaments ‘antiobésité’. Le Xénical® ne l’est que dans des situations particulières et seulement en Suisse et en Suède», explique le professeur Alain Golay.
Autre conséquence: «Les responsables de la santé publique et les assurances-maladies ont très peu investi dans la prévention de l’obésité et de ses complications. Le traitement de l’obésité, par exemple, n’est pris en charge par les assurances que lorsque le patient a déjà développé des complications», regrette le chef de service. En 2001, une étude réalisée en Suisse dans le but d’estimer les coûts liés à l’obésité a en effet établi que «sur les 2,7 milliards que coûte la maladie annuellement, 98,4 % sont consacrés aux traitements des complications de l’obésité et 1,6 % seulement à ceux de l’obésité sans complication.
On n’a pas encore compris qu’il faut s’occuper de l’obésité en amont, avant que les complications ne surviennent, avec, par exemple, des cours de nutrition dans les écoles, des programmes de santé, la promotion d’une alimentation équilibrée au travail et dans les écoles.
On pourrait aussi favoriser les trajets non motorisés, réglementer la publicité des produits alimentaires destinés aux enfants ou mettre à disposition des groupes les plus défavorisés des ressources suffisantes à l’achat d’aliments sains.» Considérer l’obésité comme une maladie était un premier pas, mais beaucoup reste encore à faire.
«Stabiliser le nombre de patients obèses et réduire les conséquences à long terme implique inévitablement d’investir davantage dans la prévention et le traitement de l’obésité, comme cela a notamment été fait avec les maladies cardiovasculaires», conclut le professeur Alain Golay.