Il est urgent de promouvoir un mode de vie sain
Lorsqu'elle évoque les problèmes d'obésité chez les enfants et les adolescents, la doctoresse Nathalie Farpour-Lambert n'y va pas par quatre chemins: la situation est dramatique et exige des mesures rapides et globales.
Par Patricia Bernheim
Cheffe de clinique responsable du programme HUG de lutte contre l'obésité et de la consultation en médecine du sport pédiatrique, membre du Groupe de travail national de l'obésité de l'enfant et de l'adolescent, la doctoresse Farpour-Lambert est au premier rang pour évaluer la situation. Son constat: l'obésité chez les jeunes représente une véritable crise de santé publique. «En Suisse, presque 20% des enfants et des adolescents souffrent de surcharge pondérale et 5% à 8% sont atteints d'obésité, rappelle-t-elle. La conséquence directe, c'est le développement, parfois même dès l'âge de 4 ans, de complications comme l'hypertension, l'augmentation du cholestérol ou la résistance à l'insuline, ce qui constitue les premières bases des maladies cardiovasculaires et du diabète.»
«Si l'on veut enrayer cette épidémie et prévenir les maladies chroniques de l'adulte, il est urgent de promouvoir un style de vie sain dès le plus jeune âge. Le temps presse, puisque le nombre d'enfants obèses augmente rapidement, analyse la doctoresse Farpour-Lambert. Cette augmentation s'explique par le fait qu'aucune mesure préventive efficace n'existe à ce jour et que les moyens manquent pour lutter efficacement contre un problème complexe et multifactoriel auquel il faut sensibiliser les enfants et adolescents, leurs parents, mais aussi les autorités politiques et économiques.»
Sensibiliser les ados
Les spécialistes en obésité ont tous dressé le même constat: un grand nombre de jeunes qui pratiquent une activité physique y renoncent vers 11-12 ans. Une évolution naturelle, qui est accentuée par l'existence de nombreux loisirs sédentaires comme l'utilisation de l'ordinateur ou la télévision. «Ils ont commencé la pratique d'un sport vers l'âge de 6 ans et, vers 12 ans, ils en ont assez et éprouvent l'envie de passer à autre chose. Autrefois, on commençait un sport plus tard, vers 10 ans, et on le continuait pendant l'adolescence.
L'une des causes d'abandon, est la sélection pour la compétition. Il est souvent difficile d'entrer ou de rester dans un club sportif où l'on privilégie souvent la performance au détriment du plaisir et de l'intégration», explique la spécialiste. Autres facteurs: l'intégration sociale et l'activité physique des parents ont une influence majeure sur l'activité physique des enfants.
Ces derniers sont en effet plus actifs si leurs parents leur servent de modèles et s'ils font des activités en famille. «Les jeunes qui ne pratiquent pas de sport ne connaissent souvent pas toutes les possibilités qui existent et ne savent pas à qui s'adresser. Il y a donc tout un travail d'information à faire auprès d'eux. Mais je dois dire que, pour l'instant, savoir comment attirer les adolescents vers le sport est un casse-tête pour tout le monde! C'est d'autant plus difficile dans un pays comme le nôtre, où le standard est l'inactivité physique chez les adolescents, surtout chez les filles. Il faut promouvoir des activités qui leur plaisent et qui sont à la mode. Pour cela, il faut discuter avec eux et tenir compte de ce qu'ils disent et pensent. L'idéal serait de trouver des stars, idoles des jeunes, pour les stimuler, à l'image de ce qui se passe aux Etats-Unis avec des joueurs de basket», souligne la doctoresse Farpour-Lambert.
Plus de sport, donc, mais aussi moins d'activités sédentaires. «Il faut les sensibiliser au temps qu'ils consacrent aux multimédias. Non seulement, c'est une activité qui induit moins de mouvements, mais, en plus, cela les isole socialement. Ils chattent beaucoup, mais chacun chez soi, seul.»
Enfin, autre point crucial dans la lutte contre l'obésité: l'alimentation. «En consultation, j'essaie de les rendre attentifs au fait qu'ils mangent souvent pour compenser l'ennui et non parce qu'ils ont faim, qu'il y a plein d'aliments industriels dont ils n'ont pas besoin et que la publicité les pousse à la consommation. J'aime bien les faire réfléchir à ce qu'était l'alimentation du temps de leurs grands-parents. Ils n'avaient que des aliments basiques.»
Des clés à l'usage des parents
Face au problème de surpoids ou d'obésité de leurs enfants, la doctoresse estime que «les parents doivent prendre des responsabilités, encadrer et mettre des limites. Autrement dit, limiter le temps passé devant un écran, motiver leurs enfants à avoir plus d'activités sportives et s'impliquer en leur offrant un environnement familial sain sur le plan de l'alimentation.» Entre autres principes de base:
- obliger les enfants et les adolescents à goûter à tout, même une petite quantité;
- cuisiner un peu et leur proposer cinq portions de fruits ou de légumes par jour;
- ne pas sauter le petit-déjeuner: c'est le repas le plus important de la journée;
- servir de l'eau et non des boissons sucrées aux repas;
- servir des portions raisonnables: une assiette par personne suffit. Pour éviter les tentations, ne pas mettre les plats sur la table, mais les laisser hors de la vue;
- limiter l'achat de snacks saturés de sucres et de graisses;
- favoriser l'activité en groupe pour lutter contre l'ennui qui pousse à s'occuper en mangeant.
En revanche, la doctoresse Farpour-Lambert est catégoriquement opposée aux régimes, générateurs de frustrations. «En consultation, nous essayons de comprendre ce que vivent les ados en surpoids d'une manière globale. Nous ne nous concentrons pas seulement sur la nourriture. Un bon nombre d'entre eux ne bénéficient pas d'un environnement social idéal. Il ne sert donc à rien de les culpabiliser. L'idée est de les soutenir et de relever les aspects positifs d'un changement de comportement. «C'est sympa de bouger, de faire une activité avec des copains!» nous semble plus efficace que de dire: «Arrête de manger n'importe quoi!»
Le surpoids chez les jeunes: un problème global
Pour prévenir le développement de l'obésité et des maladies chroniques pendant l'enfance, il faut agir à tous les niveaux: familles, écoles, communautés et autorités politiques. Quelques exemples. La mobilité. Aujourd'hui, dans des villes comme Genève, les parents rechignent à laisser leurs enfants aller seuls à l'école à pied ou à vélo parce que c'est devenu trop dangereux. Il incombe donc à nos politiciens de modifier l'environnement de manière que cela redevienne possible.
Sensibiliser et éduquer n'ont pas de sens s'il n'y a pas de changement sur le plan de l'environnement. Il faut que les enfants puissent davantage se mouvoir dans leur environnement direct: à la maison, au jardin d'enfants, à l'école, sur des places de jeux pas seulement destinées aux petits.
Sport pour tous
C'est le rôle des communes et des associations sportives de soutenir le sport pour tous, puisqu'on sait que ce type d'activité a un effet positif sur la santé, préventif face aux dépendances et est une bonne réponse aux problèmes d'isolement. Le Service des loisirs du canton de Genève (www.geneve.ch) et la ville de Genève (www.ville-ge.ch) proposent un grand choix de sports qu'on pratique pour le plaisir et non dans un esprit de compétition.
C'est aussi le rôle des maisons de quartier d'organiser des activités fun, comme la planche à roulettes, le hip-hop. Les enfants et adolescents sont la cible visée par le marketing de l'industrie agroalimentaire pour les aliments riches en énergie, mais pauvres en nutriments. Comme la pub est souvent très bien faite, enfants, ados et même parents se laissent piéger.
Pour limiter les dégâts, une charte européenne pour la lutte contre l'obésité a été signée en novembre 2006 à Istanbul, y compris par la Suisse. Son but: faire reculer l'épidémie d'obésité grâce à des mesures ciblées telles que la réduction de la promotion des aliments à haute densité énergétique ou la sécurisation des routes pour promouvoir la marche et le vélo. Un grand pas en avant qui, peut-être, permettra de redresser la barre.
Sportsmile
Victimes de leur succès, les activités pour enfants et adolescents affichent souvent complet. Raison pour laquelle des professionnels ont créé la Fondation Sportsmile, présidée par la doctoresse Nathalie Farpour-Lambert. Son but principal est de créer des programmes de sport adapté, sous la forme de cours, de journées ou de camps, pour les enfants et les adolescents atteints de surpoids ou de maladies chroniques, afin de favoriser leur santé, leur qualité de vie et leur intégration. Ces cours ont aussi une fonction éducative pour apprendre à l'enfant et à sa famille à changer progressivement leur mode de vie.