Des nouvelles pistes pour traiter l'obésité
Pour comprendre les échecs répétés des régimes en cas d’obésité, des chercheurs ont étudié le profil psychologique des personnes obèses. Le point avec le Dr Vittorio Giusti, responsable de la Consultation d’obésité et troubles du comportement alimentaire du CHUV, à Lausanne.
Propos recueillis par Patricia Bernheim
Jusque dans les années 90, on considérait que l’obésité était un problème de poids et que, pour maigrir, il suffisait de manger moins. Toutes sortes de diètes basées sur la restriction étaient donc proposées aux patients. Mais au fil des ans, un constat s’est imposé : si maigrir n’était pas un problème, stabiliser le poids en était un sérieux. Pour 90% des patients, à la perte de poids succédait inévitablement une reprise des kilos perdus. Un effet yoyo néfaste pour le corps, mais aussi pour la tête !
Dix ans plus tard, déroutés par ces échecs, les spécialistes commencent à se pencher sur la psychologie des personnes obèses pour mieux comprendre qui elles sont. Ils s’aperçoivent alors que 2/3 d’entre elles ont des troubles du comportement alimentaire de type compulsion et que les régimes restrictifs accentuent ces troubles du comportement. Autrement dit, les régimes se révèlent surtout efficaces pour faire grossir et pour aggraver les compulsions alimentaires.
Mais la prise en charge de ces troubles se révèle difficile et peu efficace sur le plan du poids : lorsque le patient parvient à gérer ses compulsions, son poids se stabilise, mais il n’en perd pas. Une équipe du CHUV, dirigée par le Dr Giusti, décide alors de se lancer dans une analyse plus approfondie du profil psychologique du patient obèse, avec ou sans troubles du comportement alimentaire.
Que vous a appris cette étude menée auprès de 150 patientes obèses ?
Elle a mis en évidence qu’en plus d’être souvent associée à des problèmes somatiques (diabète, hypertension artérielle et autres), l’obésité est également liée à des atteintes du fonctionnement psychique comme la diminution de l'estime de soi, une dépression atypique, de l’anxiété, de l’agressivité, des phobies ou de l’insatisfaction corporelle.
Ainsi, une patiente sur quatre est dépressive. Dans les cas où la personne obèse présente également des troubles du comportement alimentaires, on passe à une personne sur deux !
Les compulsions alimentaires sont en fait un facteur prédictif d’un malaise psychique et ce, dans des proportions impressionnantes. Par ailleurs, comme l'obésité est une importante source de stigmatisation, de préjudice, de discrimination, d'hostilité et de stéréotypage négatif, il n’est pas surprenant qu’à l’association obésité-troubles de la conduite alimentaire s’ajoutent des troubles psychiques.
Ainsi, environ 75% des personnes ayant participé à cette étude montrent un score positif au test d’auto-évaluation de la dépression (de légère à grave), environ 60% souffrent d’anxiété moyenne à très élevée et environ 50% présentent des problèmes d’affirmation de soi.
Qu’en avez-vous conclu ?
En plus de la prédisposition génétique à prendre du poids, deux aspects importants sont à relever. D’une part, cela indique une dysfonction de l’hypothalamus, la partie du cerveau où l’on trouve, côte à côte, le centre de l’humeur et de l’appétit. Ainsi, pour certains chercheurs, l’obésité et la dépression seraient deux facettes de la même maladie.
Mais, surtout, le recours de plus en plus fréquent à des régimes toujours plus restrictifs, qui engendre le syndrome «yo-yo», enferme les patients dans un cercle vicieux : l'échec des restrictions alimentaires augmente progressivement les sentiments de frustration et de culpabilité et renforce les mécanismes de compensation.
Les conséquences psychologiques, ce sont les compulsions alimentaires, la diminution de l’estime de soi, de la confiance en soi, de la satisfaction à l’égard de sa propre vie et une augmentation des symptômes dépressifs. L’obésité ne provoque pas une dépression, mais elle l’aggrave.
Toutes les personnes obèses sont-elles à la même enseigne ?
Aujourd’hui, on parle de plusieurs types d’obésité. Le profil dépressif est plutôt lié à l’obésité abdominale. On a noté une corrélation entre le taux de sucre et l’insuline : plus le taux de sucre est élevé, plus les gens sont dépressifs.
Qu’est-ce que cela change dans la prise en charge ?
Aujourd’hui, on considère que la première étape dans le traitement de l’obésité est d’arrêter de faire des régimes. Ils ne devraient être proposés qu’aux personnes qui peuvent s’abstenir d’avoir des compulsions alimentaires.
Le deuxième point, c’est la nécessité d’une prise en charge par une équipe multidisciplinaire, comprenant médecins, diététiciennes et psychologues spécifiquement formés sur les troubles du comportement alimentaire et les dysfonctionnements psychologiques associés. Ensemble, nous avons mis au point un questionnaire qui permet une appréciation du profil psychologique du patient.
Le but est de mieux définir les stratégies thérapeutiques et surtout d’établir les priorités dans une prise en charge qui est complexe parce que l'obésité est une maladie complexe. En effet, un patient atteint d'une dépression, d'un trouble du comportement alimentaire et d'une obésité n'est pas accessible, dans l'immédiat, à une restriction alimentaire qui risque d'aggraver la sévérité de la dépression, ni peut-être à une thérapie comportementale.
Le traitement préalable de son trouble de l'humeur est indispensable afin d'augmenter les chances d'avoir un résultat final positif sur le plan pondéral. Or, un sur deux présente un état dépressif important, des angoisses. Et l'existence d'un trouble psychologique, comme une dépression, diminue les chances de réussite d'un traitement amaigrissant.
Quels sont les obstacles auxquels vous êtes confrontés ?
Parmi les patients obèses, seuls 5% ne souffrent ni de troubles du comportement alimentaire, ni de malaise psychologique. Le problème, dans la majorité des cas, c’est que le patient est dans une phase de déni de ses troubles de la conduite alimentaire et sa demande prioritaire demeure la perte pondérale. Il pense qu’il est déprimé parce qu’il est obèse et que, lorsque son problème de poids sera réglé, il ira automatiquement mieux.
Il y a donc tout un travail préalable de prise de conscience qui est indispensable. Le but est d’envisager, en accord avec ces patients, une prise en charge globale ayant pour objectif de diminuer le poids et de régulariser l'alimentation, mais intervenant également, et préalablement, sur les symptômes psychologiques accompagnant cette maladie.
C’est en améliorant le fonctionnement psychologique de ces patients que l’on pourra favoriser le taux de succès du traitement pondéral à court mais surtout à long terme !
Adresses utiles :
PMU - Consultation d’obésité et troubles du comportement
Rue du Bugnon 44 - Lausanne
Tél. 021 314 49 44
HUG Consultation d'obésité
Rue Micheli-du-Crest 24 - Genève
Tél. 022 372 97 22