D’Hippocrate à Galien, l’art médical dans l’Antiquité
Qui dit médecine antique pense aussitôt à Hippocrate de Cos (Ve-IVe siècle avant J.-C.) et à Galien de Pergame (IIe-IIIe siècle après J.-C.). Au premier, on associe le « serment » que les médecins prêtent aujourd’hui encore à la fin de leurs études, alors qu’on présente le second comme le père de la pharmacie.
Par Brigitte Maire, Université de Lausanne
La littérature médicale compte aussi d’autres figures souvent méconnues du grand public, notamment : Erasistrate (IVe-IIIe s. av. J.-C.), Celse (Ier s. apr. J.-C., De la médecine), Dioscoride (Ier s. apr. J.-C., De la matière médicale), Scribonius Largus (Ier s. apr. J.-C., Compositions), Pline l’Ancien (Ier s. apr. J.-C., Histoire naturelle), Soranos d’Ephèse (Ier-IIe s. apr. J.-C., Maladies des femmes), Gargile Martial (IIIe s. apr. J.-C., Remèdes tirés des légumes et des fruits), Serenus Sammonicus (IVe s. apr. J.-C., Le livre de médecine), Célius Aurélien (Ve s. apr. J.-C., Maladies aiguës, Maladies chroniques), Marcellus Empiricus (Ve s. apr. J.-C., Des médicaments), Mustio (Ve-VIe s. apr. J.-C., Ancienne traduction latine du traité de gynécologie de Soranos). Tous ces auteurs témoignent de l’intérêt que les Anciens portaient à leur corps et à leur bien-être (mens sana in corpore sano).
Cette littérature médicale couvre près de dix siècles. Les auteurs médicaux antiques, à commencer par Hippocrate, cherchent à systématiser le savoir médical. Ils l’élèvent au rang d’art par la maîtrise d’une technique (en latin ars, en grec techné) présentée dans les divers traités qui servent de base à un enseignement oral de maître à disciples. Cette complémentarité de l’oral et de l’écrit assure un contrôle des praticiens et permet d’éviter, ou de limiter, les médecins charlatans autoproclamés.
A cette idée de systématisation des connaissances sur le corps – matérialisée par un exposé qui parcourt le corps de la tête au… talon (a capite ad… calcem), s’ajoute celle de leur rationalisation : une maladie repose toujours sur une cause explicable, qu’elle soit évidente ou obscure. Toutefois, cette ambition se heurte à l’impossibilité d’accéder à l’intérieur du corps où résident les causes des maladies. La dissection et la vivisection n’étaient pas volontiers pratiquées dans les mondes grec et romain. Néanmoins, ces pratiques ont été encouragées à Alexandrie où la maîtrise des techniques de la momification a sans doute contribué à briser le tabou : la vivisection a été pratiquée sur des condamnés à mort, tandis que la dissection a été conduite sur des animaux (chèvres, cochons, vaches) pour développer un savoir médical étendu, par analogie, à l’homme. La dissection sur des cadavres humains a aussi été pratiquée. C’est Hérophile (IVe-IIIe s. av. J.-C.) qui en est le principal initiateur sous les Ptolémées qui furent les seuls à autoriser cette pratique. Cela lui a valu d’être reconnu comme l’un des pères de l’anatomie (du grec tomein couper) et comme le cofondateur, aux côtés d’Erasistrate, de la fameuse école d’Alexandrie. Tous ses traités ont disparu à la suite de l’incendie qui détruisit la Bibliothèque d’Alexandrie.
Trois écoles s’opposent La question des causes évidentes et des causes obscures n’est pas pour autant résolue. Elle alimente les débats qui opposent les tenants des trois écoles médicales antiques : les empiriques, les méthodiques et les dogmatiques qui dissertent notamment sur la pertinence de ces expérimentations dont Celse souligne, dans la préface à son traité « De la médecine », la cruauté et l’inutilité au motif que « la couleur, le pli, la mollesse, la fermeté et toutes les caractéristiques de cet ordre ne sont pas, une fois le corps ouvert, telles qu’elles étaient dans le corps intact (…). Il n’est rien de plus absurde que de croire que chez un homme qui est en train de mourir, à plus forte raison lorsqu’il est déjà mort, tout est exactement comme lorsqu’il était vivant. »
Hippocrate propose une conception du corps basée sur quatre humeurs : le sang, le phlegme, la bile jaune et la bile noire, qui doivent constituer un mélange harmonieux pour assurer la santé, tandis qu’un déséquilibre provoque la maladie. A ces humeurs, il ajoute deux paires de qualités contraires : chaud-froid et sec-humide. La thérapeutique vise donc à rétablir la santé par un rééquilibrage des humeurs. De la même façon, un excès de chaud, comme la fièvre, sera combattu en administrant une substance froide, tandis que la constipation sera soignée par une préparation relâchante et la diarrhée disparaîtra par l’absorption d’un médicament resserrant.
Soigner la santé Mais le champ de la médecine antique précède la thérapeutique, puisqu’elle accorde une large place à la prévention en prodiguant divers conseils visant à « soigner la santé ». L’art médical des Anciens se subdivise en trois sections : la diététique (alimentation et exercices physiques en rapport avec sa constitution et son activité professionnelle), la pharmacologie et la chirurgie. Les moyens thérapeutiques offerts vont ainsi crescendo en fonction de l’état initial du patient et de sa réaction au traitement.
L’alimentation joue un rôle important dans cette conception de la médecine puisqu’elle se situe pour les médecins anciens à la frontière entre santé et maladie et qu’elle permet d’éviter de passer de l’une à l’autre. Divers traités, avec une visée tant préventive que thérapeutique, mettent en évidence la vertu principale (rafraîchissante, réchauffante, asséchante, humidifiante, resserrante, relâchante) d’une plante, d’un légume ou d’un fruit ainsi que les diverses parties (racine, graines, jus, pulpe, chair) et les multiples préparations (cuit, bouilli, brûlé, broyé, en poudre, dilué). Bien entendu, il existe parallèlement à ces préparations simples, que les diététiciens d’aujourd’hui rangeraient sans doute volontiers du côté des alicaments, des recettes plus élaborées que notre pharmacien qualifierait de médicaments, qui incorporent parfois des substances minérales, en plus d’herbes, de plantes, de légumes ou de fruits.
Cette thérapeutique n’est pas sans rappeler les mots fameux de Socrate : l’homme est ce qu’il mange. Elle frappe aussi par l’actualité de la démarche, en écho au slogan actuel pour se prémunir contre le cancer : cinq légumes ou fruits par jour.
Pour en savoir plus
Helen King et Véronique Dasen, «La médecine dans l’Antiquité grecque et romaine», Editions BHMS (collection Sources en perspective), Lausanne 2008. http ://www.chuv.ch/iuhmsp/ihm_bhms
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