Alimentation, activité physique et sexualité: La vision des Anciens
« Soigner la santé » est l’une des préoccupations majeures des médecins de l’Antiquité. Ainsi, Celse, le fameux encyclopédiste romain du Ier siècle après J.-C., consacre le premier livre de son traité « De la médecine » à la diététique, l’un des piliers de l’arsenal thérapeutique.
Par Brigitte Maire, Université de Lausanne
Celse ouvre son traité sur les besoins de « l’homme sain qui se porte bien, qui agit à sa guise, n’est lié par aucune obligation et n’a besoin ni d’un médecin ni d’un kinésithérapeute ». Le conseil qu’il adresse aux bien-portants repose sur un maître-mot : la variété et l’équilibre. Pour rester en bonne santé, il convient de vivre tantôt à la campagne, tantôt en ville; de pratiquer diverses activités qui sollicitent le corps dans toutes ses parties (naviguer, chasser, faire de l’exercice physique); d’alterner des périodes de repos avec des moments où l’activité physique est plus soutenue, car, selon Celse qui partage les vues d’Hippocrate dans son traité sur l’alimentation (De victu), l’inaction affaiblit le corps et conduit à vieillir précocement, tandis que l’effort le renforce et prolonge l’adolescence.
Celse préconise aussi d’alterner les bains chauds et les bains froids; de frotter son corps d’huile et de manger une nourriture simple (celle du peuple); de prendre part à des banquets fastueux, mais parfois d’y renoncer; de prendre deux repas par jour plutôt qu’un seul, en absorbant chaque fois la nourriture qu’il est possible de digérer. Mais notre régime alimentaire, nous dit Celse, doit aussi tenir compte de notre activité quotidienne : nous ne devons pas adopter le régime des athlètes qui s’entraînent régulièrement si notre style de vie ne nous permet pas de garantir, comme eux, une activité physique régulière et soutenue, sous peine de vieillir très rapidement et de tomber malade (celerrime senescunt et aegrotant).
Un art de vivre à développer Ce type de préoccupation est omniprésent non seulement dans la littérature médicale antique, qu’elle soit d’expression grecque ou latine, mais aussi au Moyen Age, et elle perdure jusqu’à aujourd’hui. Elle se cristallise, selon les époques ou les auteurs, dans des termes aussi divers que « diète », « hygiène » ou « santé », et les solutions préconisées sont à la fois simples et d’une grande actualité. Elles nous ramènent à l’individu, à son corps, à la vie quotidienne et à son rapport au monde. Mais, pour garantir cette continuité, il convient de développer un art de vivre qui guide chaque jour notre existence dans une recherche de bien-être qui passe par l’harmonie entre corps, esprit, environnements physique et social. De tout temps, un programme de bon sens, mais pas toujours simple à mettre en pratique !
Sexualité : entre sentiments et prouesses Les aventures amoureuses des dieux et héros de la mythologie gréco-romaine ont nourri un imaginaire fécond qui a traversé les siècles.
Les auteurs grecs et latins tantôt chantent la beauté des sentiments unissant deux êtres épris l’un de l’autre, tantôt mettent en scène des prouesses amoureuses, telle l’inépuisable ardeur de Zeus qui séduisit la belle Alcmène en prenant l’apparence de son époux Amphitryon. Dans sa passion, il empêcha le soleil de se lever pendant deux jours afin d’allonger leurs ébats et de concevoir un enfant hors du commun, Héraclès, dont la vigueur devait témoigner de leur ardeur.
Les traités médicaux de l’Antiquité livrent de nombreuses observations sur l’anatomie des organes reproducteurs, les phénomènes physiologiques liés à la procréation ainsi que sur le rôle respectif de l’homme et de la femme. La fonction de la sexualité n’y est pas limitée à la reproduction, nécessaire pour assurer la permanence d’une cité, la transmission d’un nom ou d’un patrimoine. On lui reconnaît aussi une dimension érotique, lorsque l’union des corps suscite le plaisir des sens et le comble. Un besoin ne saurait éclipser l’autre, et c’est dans la juste proportion et le mélange équilibré que la santé physique et la santé mentale sont assurées : au fameux adage des Latins mens sana in corpore sano fait écho le kalos kagathos (beau et bon) des Grecs. Ces expressions bien connues affirment le soutien réciproque du corps et de l’esprit ainsi que le caractère indissociable de la beauté extérieure et de la beauté intérieure.
Hystérie masculine La beauté est un des moteurs essentiels de la sexualité. Elle suscite l’attirance et entraîne le rapprochement des corps, puis des esprits. La diététique, un des trois piliers de la médecine antique, préconise des exercices de gymnastique et la fréquentation des thermes qui doivent forger un corps athlétique, propre, sain, et donc séduisant. Les ébats amoureux constituent une forme d’exercices physiques en permettant la libération de fluides spermatiques. La continence sexuelle est néfaste. Galien évoque l’existence d’une forme d’hystérie masculine due à l’accumulation de sperme chez un homme privé de relations sexuelles. Les ébats amoureux garantissent ainsi l’équilibre et la santé. Une sexualité saine doit cependant rester mesurée, explique Celse : la rareté des rapports sexuels excite le corps, tandis que leur trop grande fréquence l’affaiblit. Cette fréquence n’est pas absolue, mais relative : le critère n’est pas mathématique, de type : deux c’est assez, trois c’est trop, mais relève de l’âge et de la constitution individuelle. Les rapports sexuels sont préconisés tant qu’ils ne sont pas suivis de langueur ni de douleur; ils doivent se dérouler plutôt la nuit et n’être suivis ni d’une prise de nourriture ni d’une autre activité physique. Une constitution robuste permettrait sans doute de faire fi de ces préceptes, mais la prudence, selon Celse, dicte de garder des forces qui pourront servir à lutter contre une maladie inattendue.
L’individu au centre Le terme moderne de « prévention » n’apparaît pas dans la littérature médicale antique, mais l’essentiel des éléments qu’il recouvre aujourd’hui y sont présents : équilibre des fluides corporels ou des humeurs, absence d’excès, diversité des aliments ingérés, exercices physiques variés de toutes les parties du corps, activités quotidiennes (travail, divertissements) et, si la maladie se déclare malgré tout, anticipation et mise en condition du corps pour se donner les moyens d’y faire face.
La sexualité est envisagée selon les mêmes principes et cette conception contribue à conférer à la médecine antique une cohérence remarquable. Les médecins anciens placent au centre de leur attention l’individu à qui est réservée une attention personnalisée qui tient compte de son âge, de son sexe, de sa constitution, de son activité professionnelle, de son tempérament, faisant du patient un individu pleinement inscrit dans son environnement et dans le cosmos. Le médecin antique le soigne quand la maladie le frappe, mais le conseille aussi pour qu’elle ne survienne pas. Cela présuppose qu’il le côtoie régulièrement et qu’il lui est attaché par les liens de l’amitié. Car, comme le dit si bien Celse, il n’y a pas meilleur médecin que celui qui connaît et regarde son patient d’une façon que seule l’amitié peut inspirer. Y a-t-il plus belle leçon d’humanité ?