NOTRE STRESS: Quand le stress (nous) tue à petit feu
«Le stress n’est pas toujours destructeur, il peut même s’avérer utile et agréable, affirme le Professeur Corten, spécialiste en psychopathologie à la clinique du stress de l’Hôpital de Bruxelles. Cependant, dans certaines conditions, il peut conduire à la maladie, voire à la mort.» Explications.
Par Jean-Charles Bastard, pharmacien
De plus en plus présent dans le monde du travail, le stress peut également apparaître dans la vie familiale, à cause du voisinage ou de l’environnement. Diverses situations sont propices à précipiter un individu dans un état de stress, en particulier lorsqu’il ne peut ni les fuir ni agir dessus.
Par exemple, une pression accrue, des changements fréquents auxquels il faut s’adapter, des conséquences importantes en cas d’échec, des frustrations, des relations hostiles, la violence verbale ou physique, l’imprévisibilité, le manque d’autonomie, un environnement défavorable.
L’humanité est persuadée depuis longtemps d’une relation étroite entre émotions et maladies. «Depuis la nuit des temps, on a établi intuitivement une corrélation entre le «bon moral», l’optimisme et la santé. On a aussi révélé un lien entre les événements extérieurs qu’on qualifie actuellement de «stressants» ou de «traumatiques» et la survenue de maladies ou entre un mauvais moral et l’aggravation de maladies diverses», confirme le Professeur Corten.
Chaque personne se pose un jour la question du retentissement sur sa propre santé, ou celle d’un proche, d’un événement ou d’une situation de vie particulièrement douloureuse. Mais, comment le processus de stress affecte-t-il l’organisme ?
Comment peut-il participer au déclenchement d’une pathologie, alors que son but premier est de permettre à l’individu de survivre face à un danger en mobilisant toutes ses ressources pour dominer la situation ou la fuir, le fameux fight or flight response défini au cours du XXe siècle par l’endocrinologue canadien d’origine autrichienne Hans Selye.
Les effets délétères du stress
La recherche médicale est restée longtemps sans réponse pour expliquer le mécanisme physiopathologique du stress. Mais, aujourd’hui, une nouvelle discipline médicale, la psycho-neuro-immunologie*, qui explique les interactions entre les systèmes immunitaires, neuroendocriniens et le psychisme, permet de comprendre de façon rationnelle et scientifique les effets délétères du stress sur notre organisme.
Une analyse approfondie de la littérature médicale montre que les mécanismes physiologiques en cause dans le stress chronique semblent augmenter la susceptibilité à de très nombreuses maladies. Ils seraient également responsables de l’accélération de l’évolution de certaines pathologies, telles que cancers, maladies auto-immunes, déficits immunitaires, pathologies cutanées, digestives, thyroïdiennes, surrénaliennes, hypophysaires, diabète, surpoids, problèmes gynécologiques, maladies psychiatriques…
Dans cet article, nous allons étudier la relation étroite entre le stress psychosocial et les pathologies cardiovasculaires (infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux) qui constituent la première cause de mortalité en Suisse.
Nous allons essayer de comprendre comment le stress, un phénomène psychique, arrive à «boucher nos artères», alors que le bon sens populaire nous dit que c’est l’excès de cholestérol qui est responsable de ce processus !
Il faut savoir que, dans 40 % des cas d’athérosclérose, il y a absence de facteurs de risques conventionnels (cholestérol, triglycérides, hypertension artérielle, obésité abdominale, diabète, tabac, sédentarité, régimes alimentaires pauvres en fruits et légumes…).
Selon certains chercheurs, le stress pourrait constituer l’explication physiopathologique chez ces patients qui ont «les artères bouchées», mais qui ne présentent aucun des facteurs de risques traditionnels. D’où l’importance de l’évaluation du niveau de stress, afin de pouvoir apprendre à le gérer et à se protéger contre ce «tueur silencieux» responsable d’attaques cardiaques et cérébrales.
Les données épidémiologiques
L’étude INTERHEART*, réalisée dans 52 pays sur 24 767 individus, a montré que les personnes ayant vécu plusieurs périodes de stress au travail durant l’année précédente présentent un risque d’infarctus du myocarde augmenté de 38 %, comparé aux personnes n’ayant pas subi un stress durant les douze derniers mois. Ce risque passe à 114 % en cas de stress permanent.
Les personnes qui disent avoir vécu des périodes de stress à la maison ces douze derniers mois voient leur risque d’infarctus du myocarde augmenter de 52 %, tandis que ceux qui ont subi un stress permanent à la maison doublent leur risque
(+ 112 %).
Un stress dû à des problèmes financiers augmente le risque de 33 %. D’autres types d’événements de vie accroissent le risque d’infarctus du myocarde : un échec professionnel (+ 33 %), un conflit familial majeur (+ 55 %), la perte de son travail (+ 36 %) et, enfin, le décès de son conjoint (+ 37 %).
L’étude INTERHEART* conclut que le stress combinant stress au travail et à la maison augmente le risque d’infarctus du myocarde de 45 % pour les personnes présentant plusieurs périodes de stress durant l’année écoulée et qu’il passe à 117 % pour celles qui ont subi un stress permanent durant les douze derniers mois.
Ce qui est impressionnant dans les résultats de l’étude INTERHEART*, c’est que le risque d’infarctus du myocarde dû au stress psychosocial reste significatif après l’ajustement avec les facteurs de risques cardiovasculaires traditionnels (hypertension artérielle, diabète, manque d’activité physique, dyslipidémie – excès de cholestérol –, obésité abdominale, alcool…).
Les accidents vasculaires cérébraux
De son côté, une équipe danoise a évalué l’incidence du stress sur le risque de faire un accident vasculaire cérébral (AVC). Les chercheurs ont suivi 5604 hommes et 6970 femmes. Ils ont évalué le risque en termes de fréquence du stress (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou absente) et d’intensité (faible, moyenne, élevée ou absente).
Les treize années de suivi ont permis de conclure que, comparé aux sujets ne présentant pas de stress, le risque d’accident vasculaire cérébral fatal est augmenté de 49 % en cas de stress hebdomadaire et de 89 % en cas de stress d’intensité élevée.
Les accidents vasculaires cérébraux représentent dans les pays occidentaux la troisième cause de décès (après les maladies coronariennes et les cancers), la première cause de handicaps acquis à l’âge adulte et la deuxième de démence. Leurs conséquences sont dramatiques. D’une part, une mortalité élevée, de l’autre, des séquelles physiques et/ou psycho-intellectuelles nécessitant une prise en charge quotidienne particulièrement lourde.
La formation de la plaque d’athérome
Les facteurs de risques cardiovasculaires traditionnels (excès de cholestérol, d’acides gras saturés, tabagisme, diabète, obésité, hypertension artérielle…) accélèrent le développement de l’athérosclérose, autrement dit ils «bouchent nos artères».
Néanmoins, comment peuvent-ils tous conduire à la même complication vasculaire, alors qu’ils représentent, à première vue, des anomalies très différentes? Une hypothèse peut éventuellement expliquer pourquoi la paroi artérielle réagit de façon identique aux différents types d’agressions : celle d’une production accrue de radicaux libres au niveau vasculaire*.
Dès 1989, l’hypothèse de la théorie oxydative de l’athérosclérose a été publiée par Daniel Steinberg dans la prestigieuse revue médicale américaine The New England Journal of Medicine*. Cette hypothèse a été complétée en 1999 par la théorie inflammatoire de l’athérosclérose, également publiée dans la revue The New England Journal of Medicine par le Dr Russell Ross de l’Université de médecine de Washington*.
Pour résumer, le mécanisme d’initiation et de développement de la plaque d’athérome n’est pas dû à l’excès de cholestérol et d’acides gras saturés, mais à l’oxydation du cholestérol et des acides gras véhiculés par les LDL (lipoprotéines de basse densité). Les LDL oxydées vont générer une réaction inflammatoire au niveau vasculaire, car elles sont responsables de l’activation des globules blancs (monocytes-macrophages).
Ces cellules immunitaires vont éliminer les LDL oxydées parce qu’elles sont reconnues par notre organisme comme élément étranger au même titre qu’un agent infectieux (virus, bactéries, parasites). Malheureusement, la capacité d’élimination des LDL oxydées par les globules blancs est limitée, et ces derniers finissent par mourir, étouffés par les LDL oxydées. Les globules blancs se transforment alors en cellules spumeuses (foam cells) qui initient la formation de la plaque d’athérome
Physiopathologie du stress
En ce qui concerne le stress psychosocial, la logique scientifique nous permet d’émettre l’hypothèse que les émotions négatives peuvent accélérer l’athérosclérose à condition que le stress cognitif soit capable de générer de l’oxydation et de l’inflammation au niveau vasculaire.
Comme l’illustre le schéma, un stress cognitif est capable d’activer au sein de notre organisme les deux voies du stress. D’une part, le système nerveux sympathique qui libère de l’adrénaline et de la noradrénaline, de l’autre, l’axe hypotalamo-hypophysaire – surrénale qui aboutit à la sécrétion du cortisol.
L’activation de ces deux voies va générer de l’oxydation et de l’inflammation au niveau de nos artères en activant nos cellules immunitaires (globules blancs) qui vont générer des radicaux libres oxygénés (molécules pro-oxydantes) et des cytokines pro-inflammatoires (molécules aux propriétés inflammatoires).
C’est donc la génération d’inflammation et d’oxydation au niveau des artères qui explique le mécanisme par lequel le stress psychosocial arrive à «boucher nos artères» et à aboutir, à plus ou moins long terme, à une attaque cardiaque ou cérébrale.
Une étude publiée en 2004 dans
Behavioral Medicine* a montré que la présence d’un stress psychosocial est associée à une augmentation de l’oxydation des LDL responsable de la formation de la plaque d’athérome.
Les auteurs ont conclu, à l’aide de dosages biologiques, qu’un stress psychosocial est associé à un état pro-oxydant mais également pro-inflammatoire. Une autre étude*, réalisée chez des étudiants lors de leurs examens de fin d’année, a montré que l’oxydation des lipides est augmentée de façon significative lorsqu’ils sont soumis au stress.
Le stress génère de l’inflammation
Le Dr Maes* a démontré que le stress psychologique augmentait la production d’inflammation via l’activation de notre système immunitaire. Face au stress, nos cellules immunitaires produisent des molécules aux propriétés inflammatoires (TNF-alpha, IL-1, Il-6…). Ce sont les fameuses «cytokines pro-inflammatoires» délétères à la santé de nos artères.
La recherche scientifique aujourd’hui nous permet de comprendre par quel mécanisme le stress accélère la formation de la plaque d’athérome et comment le stress peut aboutir, un jour ou l’autre, à une attaque cardiaque ou cérébrale : en générant de l’oxydation et de l’inflammation au niveau de nos vaisseaux sanguins.
Peut-on se protéger contre le danger potentiel du stress qui, selon les termes du Professeur Corten, «est l’une des rares problématiques psychologiques à mener à la mort lorsqu’elle est menée à son terme» ? Aujourd’hui, deux pistes d’intervention existent. La première consiste en des techniques de gestion du stress, la seconde vise à compenser les effets biologiques néfastes du stress sur notre organisme.
Ces deux points seront abordés dans le prochain numéro de votre journal Essentielles.pharmacie(at)ppge.ch
*Références bibliographiques sur demande, pharmacie(at)ppge.ch