La maladie peut nous faire grandir
Comment vivre – et même vivre mieux - avec une maladie dont on ne guérit pas ? Alain Golay, professeur aux HUG et co-auteur d’un livre* récemment paru, esquisse un certain nombre de pistes.
Propos recueillis par Patricia Bernheim
Votre livre s’adresse-t-il uniquement aux patients ?
Il s’adresse d’abord aux patients atteints d’une maladie chronique telle que le diabète, une maladie cardio-vasculaire, un cancer ou une dépression pour ne citer que quelques unes des 48 pathologies chroniques recensées par l’OMS. Les gens ne se rendent souvent pas compte que « chronique » signifie « pour toujours ». Il s’adresse aussi aux soignants, pour les inviter à changer de regard sur le patient et la maladie, et aux proches de patients car ils jouent un rôle important et difficile qui consiste à être aidant sans être contrôlant ni saboteur.
En quoi consiste votre approche ?
Elle se résume en deux mots : comprendre et apprendre. Un diagnostic de maladie est difficile à vivre, d’autant plus lorsque celle-ci est chronique. C’est un choc, il y a clairement un avant et un après, mais c’est aussi une opportunité de changement. La maladie n’est pas là par hasard. Pour recouvrer la santé ou éviter une rechute, faire un travail sur soi est une nécessité. Le patient doit pouvoir comprendre sa maladie et pourquoi il est malade en faisant un travail sur lui et en prenant de la distance par rapport à son mode de vie, ses croyances et ses émotions. Dans le cadre d’une maladie chronique, si son comportement ne change pas, la rechute est prévisible. En s’informant et en se formant, en sachant mieux, le patient acquiert progressivement des compétences et des connaissances qui lui permettent d’être moins dépendant des soignants, de trouver un équilibre en vivant au mieux avec la maladie. Quand on change de regard sur la maladie, elle peut nous faire grandir.
Pour un somaticien, n’est-ce pas paradoxal de se référer à la psychologie et la philosophie ?
Je ne suis pas un somaticien ! Je suis un diabétologue qui s’est rendu compte que le corps était relié à la tête et que la médecine actuelle n’a pas réponse à tout ! La maladie ne dépend jamais d’un seul paramètre. Le 85% des patients diabétiques est obèse, mais l’obésité est un problème très complexe qui peut par exemple trouver son origine dans la maltraitance ou des abus sexuels. Ordonner un régime est voué à l’échec sur le long terme si cette dimension-là de la personne n’est pas aussi prise en compte.
Dans ce contexte, quel est le rôle des soignants ?
Dans le cas du diabète, les médecins reçoivent leur patient 30 mn tous les 3 mois et celui-ci vit 129 570 minutes seul avec sa maladie. Le rôle des soignants est donc prioritairement d’écouter leur patient avant de dégainer toute la panoplie médicale. Ils sont aussi là pour apprendre au patient à ne pas tout attendre de son ou de ses soignants, à devenir indépendant, voire co-thérapeute, en lui enseignant des connaissances et de compétences au sujet de sa maladie. Le patient est le propriétaire du bâtiment. Il doit pouvoir détecter les signaux avant-coureurs d’une rechute pour l’éviter. Les soignants sont aussi là pour faire émerger une motivation à changer de vie et de comportement. On a tous en nous des ressources insoupçonnées, mais peu de gens le savent.
Comment aborder les changements nécessaires ?
Modifier son comportement se fait petit à petit, pas à pas. On commence par intégrer un petit changement qui ne nous coûte pas trop tel que prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur. Une fois celui-ci ancré, on en ajoute un autre, comme descendre du bus deux arrêts avant et finir à pied. C’est ainsi qu’on parvient à un changement de comportement de fond. On peut y arriver seul, mais on peut aussi se faire aider par des professionnels à travers quantité d’approches très différentes. A chacun de trouver la sienne et son rythme. L’important est que le changement s’inscrive dans la durée.
Qimpact cette démarche globale a-t-elle ?
Au travers du service d’éducation thérapeutique du patient des HUG (lire encadré), on a constaté que quand une personne fait un travail sur elle, qu’elle comprend sa maladie et son traitement, celui-ci est mieux suivi et les complications diminuent. Pour le diabète, apprendre aux patients à prendre soin d’eux a permis de réduire de 80% les amputations et de 90% les risques de cécité. Les crises d’asthme ou les récidives dans les maladies cardio-vasculaires ont été réduites de 90%. Cela peut sembler étonnant, mais la maladie peut nous amener à vivre mieux en prenant mieux soin de soi.
*Bien vivre avec sa maladie, éd. JCLattès, par André Giordan, physiologiste, épistémologue et consultant en éducation thérapeutique, et par le Professeur Alain Golay, diabétologue et chef du service d’Education thérapeutique du patients pour maladies chroniques des HUG.