N’attendez pas pour appeler le 144
Aujourd’hui, la prise en charge hospitalière des patients victimes d’un infarctus permet à 90% d’entre eux de sortir rapidement de l’hôpital. Pour améliorer ce résultat, une meilleure sensibilisation de la population est nécessaire. Le point avec le Professeur François Mach, patron de la cardiologie aux HUG.
Propos recueillis par Patricia Bernheim
Quelle est la situation actuelle ?
Chaque année, entre 900 et 1000 personnes victimes d’un infarctus sont admises aux HUG. Le 90% d’entre elles sort entre 4 et 6 jours plus tard, après une coronographie et la pose d’un stent. Entre 4 et 6% des patients sont sujets à des complications, notamment si une chirurgie appelée pontage est nécessaire, ce qui prolonge leur séjour hospitalier. Enfin, entre 3 et 5% des patients décèdent, et ceci en grande majorité avant l’arrivée des secours.
A Genève, quels sont les délais d’intervention en cas d’infarctus ?
Chaque minute compte pour sauver le muscle cardiaque (les anglo-saxons résument avec la formule « Time is muscle »). Lors d’un infarctus sévère, le médecin est sur place 8 à 10 minutes après l’appel au 144 et l’ambulance arrive 1 à 2 minutes plus tard. En moyenne 15 minutes après l’appel, le patient est en salle de cathétérisme où une équipe l’attend et intervient immédiatement. En quelques années, le temps qui s’écoule entre l’appel au 144 et l’intervention médicale (en anglais, call-to-emergency) a été diminué de moitié. Cette chaîne très rapide a clairement permis d’améliorer le pronostic de l’infarctus et contribue à une meilleure récupération pour les patients. Il est difficile de faire mieux sur le plan intra-hospitalier.
Comment améliorer ce résultat ?
Cela passe par une sensibilisation de la population générale. La dernière campagne de prévention de l’infarctus date d’il y a une quinzaine d’années. Elle avait obtenu de très bons résultats, les gens appelaient clairement plus vite le 144, les patients arrivaient plus tôt à l’hôpital. Aujourd’hui, sur les 900 à 1000 patients hospitalisés chaque année aux HUG, on en voit encore trop souvent qui ont appelés trop tard ou qui décèdent sans avoir appelé.
Quels sont les bons réflexes en présence d’un infarctus ?
Dès qu’une douleur oppressive, suspecte et qui dure se manifeste dans le thorax, il faut appeler le 144 sans attendre de voir si la douleur passe. Mieux vaut les appeler dix fois pour rien que de manquer l’appel qui sauve ! Les personnes qui répondent sont des professionnels, elles posent des questions précises pour distinguer les différents types de douleurs. Les ambulanciers sont très bien formés et on dispose de moyens techniques très efficaces, dont des défibrillateurs présents dans toutes les ambulances. La population doit également être mieux formée à la réanimation cardio-pulmonaire, c’est-à-dire au massage cardiaque (le bouche à bouche n’est plus pratiqué depuis longtemps) et à l’utilisation d’un défibrillateur. Aujourd’hui, ils sont entièrement automatiques. Il suffit de suivre les instructions vocales après avoir sélectionné la langue souhaitée. L’appel au 144, le massage cardiaque et un défibrillateur permettent de sauver des vies tous les jours. Et une chose est certaine, si on ne fait rien, l’issue risque bien d’être fatale !
Que font les HUG pour aider les patients à ne pas récidiver ?
Pour que le patient adhère à son traitement et soit motivé, il faut qu’il comprenne ce qui lui est arrivé et les raisons pour lesquelles il doit modifier ses habitudes. Nous avons donc mis sur pied ELIPS®, un programme d’éducation thérapeutique inédit dans le domaine cardiovasculaire. Son but est d’améliorer la qualité des soins en milieu hospitalier et d’inciter les patients qui ont été victimes d’un syndrome coronaire aigu (SCA) à poursuivre une thérapie à long terme après leur séjour hospitalier pour éviter une récidive. Les différents supports ont été conçus sur un mode ludique et interactif pour être plus stimulants. Le site internet www.elips.ch et une application smart-phone permettent de compléter ou de partager les informations avec son entourage. Tous reprennent les mêmes informations de base et les développent. Il n’y a donc plus qu’un seul discours, pour que le patient et le corps médical retrouvent rapidement les messages clés dans un environnement familier. En complément, on encourage le patient à poursuivre la prise en charge dans un centre de réadaptation cardiovasculaire et à suivre un programme personnalisé en ambulatoire sur quelques semaines. Celui-ci vise à reprendre confiance dans la vie quotidienne, à augmenter la capacité physique et à modifier les habitudes de vie responsables de l’infarctus.
S’il y avait un seul conseil de prévention des maladies cardio-vasculaires à retenir ?
La sédentarité est le facteur de risque le plus important. Dès que l’on bouge un peu, tout s’améliore: le taux de cholestérol, la tension, le poids, le diabète. S’il y a un seul point à modifier dans son mode de vie, c’est donc celui-ci.
Le « cas particulier » des femmes
La prise en charge des femmes victimes d’un infarctus est moins performante que celle des hommes d’un bout à l’autre de la chaîne. Une situation « clairement problématique » souligne le Professeur Mach. A vivre comme les hommes (stress, tabac), les femmes finissent par développer les mêmes maladies qu’eux, notamment sur le plan cardio-vasculaire. Une réalité qui peine à faire son chemin auprès du corps médical. « Celui-ci considère encore souvent que les femmes courent moins de risques cardio-vasculaires que les hommes. A cela s’ajoute qu’elles se plaignent moins facilement, ce qui retarde le moment de leur prise en charge. Enfin, les femmes ressentent un panel de douleurs plus large que les hommes. Classiquement, l’infarctus se présente chez un patient dans la cinquantaine, en surpoids, sédentaire et fumeur, avec des douleurs (pesanteur) dans le thorax qui irradient dans le bras gauche. Mais l’infarctus peut provoquer d’autres types de douleurs, notamment chez les femmes, dans le dos, dans le cou, dans les deux bras, dans la mâchoire voire même à l’estomac. Les femmes présentent également des symptômes moins typiques que les hommes comme un essoufflement, une fatigue et des nausées inexpliqués, ce qui retarde en général le diagnostic ». Autre situation problématique : « Le corps médical incite moins les femmes que les hommes à entrer dans un programme de réadaptation, soit parce que les patientes sont âgées et que la pertinence d’une réadaptation pour une femme de plus de 80 ans ne s’impose pas, soit parce qu’elles ont une vie active et des enfants et qu’intégrer un programme de réadaptation est compliqué d’un point de vue pratique. C’est clairement un problème auquel nous devons trouver des réponses plus adéquates », conclut le patron de la cardiologie.
Informer et sensibiliser
Programmes, projets, recommandations: améliorer la sensibilisation de la population passe par plusieurs canaux.
Les HUG et le DIP (Département de l’Instruction Publique) développent un programme d’information destiné à toutes les classes de 9ème du cycle qui démarre en juin prochain.
Il se présente sous la forme d’un cours ludique axé sur la prévention des maladies cardiovasculaires et comporte une initiation pratique au massage cardiaque avec un mannequin et à l’utilisation d’un défibrillateur. Ce genre de programme pour un public jeune s’est avéré efficace dans l’apprentissage de la réanimation.
- Une directive du médecin cantonal, qui n’a donc pas de caractère obligatoire, demande que toutes les petites et moyennes entreprises disposent d’un défibrillateur et d’une personne formée à la réanimation.
- Un projet à l’étude prévoit une application smart-phone permettant de savoir où se trouve le défibrillateur le plus proche (pharmacie, voisin, etc.)