Le cancer m’a fait grandir plus vite
Trois ans après avoir appris qu’elle avait un cancer du sein, Sophie a enfin repris sa vie là où elle l’avait laissée.
Récit d’une longue reconstruction.
Propos recueillis par Patricia Bernheim
En 2006, Sophie, enseignante de 40 ans, maman d’une petite fille de 3 ans et d’une ado de 13 ans, sent des boules dans son sein gauche. Elle consulte son gynécologue et fait une mammographie qui ne révèle rien. « On m’a même laissé entendre que ces boules, elles étaient dans ma tête… » Le temps passe, les boules restent. Elles grossissent, même. Parallèlement, Sophie ressent une énorme fatigue. « J’avais sans cesse le sentiment de ramer à contre-courant. J’avais d’ailleurs annoncé à ma direction que j’allais diminuer mon temps de travail à la rentrée. Je sentais que quelque chose n’allait pas, mais je l’ai mis sur le compte d’un burn-out. J’avais accumulé d’importants stress professionnels et plusieurs gros chocs émotionnels au cours des derniers mois. » Un an après la première mammographie, elle en passe une seconde qui révèle cette fois très clairement l’existence de trois masses. Un prélèvement est immédiatement fait et analysé.
Quelques jours plus tard, son médecin la convoque. « Le premier choc a été d’apprendre que j’avais un cancer. Le deuxième, plus dur encore, a été de savoir que les ganglions sentinelles étaient touchés et que l’intervention chirurgicale serait suivie d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie. Je ne savais pas vers quoi je m’avançais et j’ai eu le sentiment, à partir de là, que mon corps ne m’appartenait plus. Il appartenait à la science. A posteriori, j’aurais aimé être mieux informée sur le traitement, qui s’est révélé très lourd, et sur ses conséquences. »
Le déni des proches Un mois après le diagnostic, Sophie est opérée. Fin juillet, elle commence la radiothérapie puis entame une chimiothérapie. « Avec la chimio, j’ai eu le sentiment qu’on me tuait à petit feu. C’était comme une torture. Je devenais de moins en moins résistante, y compris sur le plan psychologique. Je n’ai plus été capable de m’occuper de mes enfants ni de mon mari, dont le père venait de mourir d’un cancer, et j’ai énormément culpabilisé de leur faire subir ça. »
« A ce moment-là, j’aurais eu besoin du soutien de mes autres proches, mais je me suis retrouvée face à beaucoup de déni. Ils faisaient comme si je n’étais pas malade et attendaient de moi que je fasse semblant. » L’entourage amical, en revanche, a été précieux. « Je n’avais plus d’énergie à leur consacrer, mais j’ai apprécié toutes les manifestations d’amitié, les petits mots, les sms, les fleurs… C’était important. »
Un espace de dialogue Sophie a aussi ressenti le besoin de consulter une thérapeute avec son mari. « Le sujet n’était pas tabou, mais on avait de la peine à trouver l’énergie pour l’aborder. Elle nous a donc ouvert un espace de dialogue. On avait aussi besoin d’être rassurés par rapport à notre fille cadette dont les premiers pas à l’école enfantine se sont révélés catastrophiques. Elle a été très marquée par cette période. Elle m’a vue perdre mes cheveux, ne plus me lever de mon lit. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. »
Durant cette période, Sophie s’est beaucoup documentée, notamment sur l’alimentation. « On mangeait déjà bio avant, mais je suis devenue plus vigilante encore. Je me suis mise au thé vert et, surtout, je n’utilise plus que des produits de soin bio. » Pour s’obliger à se lever et à se promener, Sophie adopte un chien. Elle se met aussi à pratiquer plus assidûment l’équitation, un sport qui lui fait du bien depuis longtemps. Et elle s’inscrit à des séances d’art-thérapie organisées par la Ligue contre le cancer. « J’y ai passé beaucoup de temps et rencontré des personnes formidables avec qui j’ai beaucoup parlé et ri. Je n’ai jamais été aussi créative que durant cette période. J’avais des projets plein la tête, je me suis démenée pour que certains d’entre eux voient le jour. Mais aujourd’hui, je ne peux plus toucher un crayon. Tous ces projets artistiques sont trop liés à la maladie. »
Tout au long du traitement, elle rit, aussi. Le plus souvent possible. « J’essayais de donner le change. Je faisais la nouille, j’étais beaucoup dans la dérision parce que c’était ma manière de continuer à aller de l’avant. » Mais un an après la fin de sa chimio, elle craque. « J’ai fait une grosse dépression, c’était le contrecoup. Et je ne suis pas loin de penser que ça a été pire que le cancer. »
Si, au cours de sa maladie, Sophie n’a jamais eu peur de ne pas s’en sortir, aujourd’hui, elle se sent angoissée à l’approche des examens de contrôle biannuels. « Lorsque j’ai vu que ma dernière échographie n’était pas concluante et que je devais la compléter d’un IRM, mon sang s’est glacé dans mes veines. Ma seule pensée, c’était : pas maintenant, alors que je viens de recommencer à travailler à plein temps et qu’on a à nouveau plein de projets avec mon mari ! » Elle reconnaît aussi qu’à chaque problème physique, elle a peur que ce ne soit une nouvelle manifestation du cancer. « Mais mon oncologue me rassure. Il ne veut pas entendre parler de ces histoires de rémission. Pour lui, je suis guérie ».
Madame Cash Fin août dernier, Sophie a enfin recommencé à travailler à plein temps et a repris sa vie là où elle l’avait laissée en avril 2007. Mais elle n’est plus tout-à-fait la même. « Il faut du temps pour se reconstruire, savoir qui on est, où on va. Je réalise maintenant à quel point la santé est importante, à quel point le temps est précieux et passe vite. Alors je profite de tout et je suis présente dans le présent, pas dans le futur ni dans le passé. Je suis devenue plus égoïste. Ce qui est important aujourd’hui, c’est la qualité de ce que je vis, ma famille, mes amis. Je ne veux plus de relations compliquées, plus d’hypocrisie. Je suis devenue plus radicale aussi : il ne faut plus me marcher sur les pieds et je dis ce que j’ai à dire, d’où mon nouveau surnom de Madame Cash. »
La maladie l’a également amenée à avoir une autre vision de la vie : « Je me suis sentie extrêmement vieille à certains moments, arrivée en bout de course, tellement proche de la fin que j’étais capable de ressentir des joies intenses liées à de toutes petites choses. J’avais le sentiment de toucher à l’essentiel et cela m’a rendue encore plus sensible au beau et à l’harmonie. La maladie oblige aussi à repousser ses propres limites et entraîne un détachement par rapport aux choses matérielles. Notre maison a été cambriolée hier et ça ne me touche pas. Ils ont volé et saccagé, mais ce ne sont que des dégâts matériels… Certains de mes proches me disent que c’est du je-m’en-foutisme… Non, c’est juste du lâcher prise. Traverser une épreuve comme le cancer m’a fait grandir et avancer plus vite. »