Le sucre: ami ou ennemi de nos artères
Les études d’épidémiologie ont mis en évidence qu’une augmentation de la consommation d’acides gras saturés joue un rôle dans l’accroissement du risque des maladies cardiovasculaires. Depuis, le mot d’ordre des cardiologues et des nutritionnistes était, d’une part de «faire la guerre» à l’excès d’acides gras saturés, de l’autre, d’intensifier la consommation quotidienne des carbohydrates (55% à 75% des apports caloriques quotidiens, selon l’OMS).
Mais, depuis, des études ont démontré qu’une alimentation pauvre en lipides et riche en carbohydrates pouvait avoir des conséquences négatives sur le métabolisme des lipides (Am J Clin Nutr, 1997). C’est la raison pour laquelle, il est aujourd’hui essentiel de bien gérer son apport en «sucres» pour barrer la route aux maladies cardiovasculaires.
Par Jean-Charles Bastard, pharmacien
Comme nous l’avons longuement expliqué dans notre numéro de novembre 2008, la découverte, par deux médecins canadiens de l’Université de Toronto, David Jenkins et Tom Wolever, que le pain blanc provoquait une montée de la glycémie (taux du sucre sanguin) aussi élevée que du sucre pur, a sérieusement remis en question les connaissances de l’époque en matière de nutrition et a fait voler en éclats le concept de «sucre rapide» et de «sucre lent».
Nos fameux «sucres lents», tels que les pommes de terre et le riz, présentent en effet un index glycémique élevé, voire aussi élevé que des barres chocolatées ou des viennoiseries. Pour le Dr David S. Ludwig de l’Hôpital de Boston, spécialiste mondial de l’obésité, «les termes de sucre «simple» et «complexe» n’ont pas vraiment de sens sur le plan biologique. De nombreuses études montrent que des glucides «complexes» – les amidons raffinés comme le pain blanc, la plupart des céréales du petit- déjeuner, les pommes de terre – augmentent le niveau de sucre sanguin – aussi vite et aussi fortement que le sucre de table.»
A la suite de cette découverte, David Jenkins et son collègue ont élaboré un moyen de comparer rigoureusement les glucides entre eux: l’index glycémique, constitué aujourd’hui de 2480 aliments. Ils sont classés en trois catégories: les aliments à index glycémique faible, dont l’indice est inférieur ou égal à 55, ceux à index glycémique modéré, dont l’indice est compris entre 56 et 69, et, enfin, les aliments à index glycémique élevé, dont l’indice est supérieur à 70.
Intérêt de l’index glycémique en nutrition
Pour le Dr David S. Ludwig (JAMA, 2002), mieux vaut privilégier les aliments à index glycémique faible, car les aliments possédant un indice élevé vont être absorbés beaucoup plus rapidement, ce qui va conduire à une augmentation exagérée de la glycémie, soit un «pic de glycémie» (figure 2).
Or, c’est là que les choses se compliquent pour notre organisme, puisque l’insuline possède des propriétés anabolisantes. Elle active les mécanismes de «lipogenèse» et inhibe la «lipolyse». En d’autres termes, l’insuline va transformer une partie du sucre sanguin en graisses (triglycérides) pour les stocker au niveau du tissu adipeux et va empêcher notre organisme de brûler nos graisses pour fournir à l’organisme de l’énergie.
Depuis 1981, grâce à l’index glycémique des aliments, les épidémiologistes ont pu mettre en évidence l’impact négatif des aliments sucrés et raffinés sur le développement des maladies chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et le cancer. Dans cet article, nous allons étudier leurs effets sur le risque d’infarctus du myocarde (attaque cardiaque) et de l’accident vasculaire cérébral (attaque cérébrale).
Ce que disent les études d’épidémiologie
Le laboratoire de santé publique de l’Université de Harvard a suivi pendant dix ans 75 521 femmes âgées entre 38 et 63 ans, exemptes de maladies cardiovasculaires au début de l’étude (AJCN, 2000). L’étude a conclu que le risque de faire un infarctus du myocarde (attaque cardiaque) double chez les femmes dont l’alimentation est la plus riche en aliments à index glycémique élevé. Les chercheurs de Harvard ont pu également mettre en évidence que ce risque d’«attaque cardiaque» était encore beaucoup plus évident chez les femmes dont l’indice de masse corporelle* est supérieur ou égal à 23 (figure 3).
Une étude hollandaise plus récente, publiée en 2007 dans la très sérieuse revue médicale Journal of American College of Cardiology a confirmé l’implication certaine des aliments à index glycémique élevé dans la genèse des accidents cardiovasculaires. Le risque d’attaque cardiaque est augmenté de 44% et celui de l’accident vasculaire cérébral de 55%. Dans cette étude, ce sont essentiellement les femmes en surpoids (indice de masse corporelle ≥25) qui voient ce risque augmenter.
Explications physiologiques
Les mécanismes impliqués dans l’augmentation du risque des maladies cardiovasculaires associée à une consommation excessive d’aliments à index glycémique élevé ne sont pas encore clairement élucidés, mais quelques pistes sérieuses sont évoquées. Le stress oxydatif généré par les pics de glycémie et d’insuline est de plus en plus souvent mis en cause pour expliquer l’effet négatif sur les artères des aliments à index glycémique élevé, tels que le pain blanc. Une autre piste à explorer est l’impact de l’index glycémique sur le profil lipidique (cholestérol total, «bon» et «mauvais» cholestérol et triglycérides).
Le Dr Frost a démontré que les aliments à index glycémique bas, tels que les haricots verts, augmentent le taux de «bon cholestérol», tandis que des aliments à index glycémique élevé, tels que les pommes de terre, le diminue. Cela pourrait expliquer le rôle protecteur des aliments à index glycémique faible, car l’augmentation du «bon cholestérol» est associée à une diminution du risque des maladies cardiovasculaires. L’hypothèse selon laquelle certains types de carbohydrates sont meilleurs pour augmenter le cholestérol est fascinante et mérite d’y prêter une attention toute particulière (figure 4).
Non aux «attaques cardiaques et cérébrales»
Pour cela, il faut suivre les recommandations de Jennie Brand-Miller, professeur de nutrition humaine à l’Université de Sydney, considérée aujourd’hui comme la spécialiste mondiale de l’index glycémique (figure 5). On devrait également suivre les conseils du professeur genevois Alain Golay, autre spécialiste de renommée mondiale de l’obésité qui recommande «un mode de vie à 80/20». En d’autres termes, «il faut viser 80% de nourriture équilibrée et 20% de dérapage contrôlé», donc «un jour sur cinq, nous pouvons nous faire plaisir». Nous concluons donc que nous sommes autorisés à manger des aliments à index glycémique élevé, mais seulement un jour sur cinq!