Le point sur nos comportements alimentaires
Si manger se résumait à satisfaire un besoin physiologique, notre rapport à la nourriture serait probablement beaucoup plus simple. Seulement voilà… L'alimentation joue de multiples rôles, ce qui complique la donne.
Par Patricia Bernheim, avec la collaboration de Véronique Di Vetta et Chantal Nègre, diététiciennes diplômées, Catherine Haenni et Isabelle Carrard, psychologues FSP
Manger nous permet de nous nourrir, mais pas seulement. Cet acte apparemment anodin est en fait au cœur de notre existence. Il est associé au plaisir et au partage, il dépend de facteurs culturels ou religieux et remplit parfois la fonction de refuge. Largement de quoi nous faire perdre de vue son rôle premier: combler nos besoins nutritionnels.
A l'origine, nous sommes tous programmés pour manger lorsque nous avons faim et nous arrêter quand nous sommes rassasiés. Les différentes phases se succèdent ainsi: la sensation de faim génère une tension intérieure à laquelle nous répondons en mangeant et nous nous arrêtons de manger lorsque nous nous sentons rassasiés. Nous ressentons alors un état de plénitude et de satisfaction qu'on appelle satiété. Nos sensations alimentaires nous renseignent donc en permanence sur l'état de nos besoins, aussi bien en quantité qu'en qualité.
La fréquence des repas, elle, est réglée par l'alternance de la faim et de la satiété, mais aussi par les conventions: chez nous, manger «normalement», c'est avoir trois fois par jour un repas composé de plusieurs plats, qu'on déguste en prenant le temps, assis à une table dans un lieu prévu à cet effet, avec des couverts, en commençant par le salé et en terminant par le sucré, dans des portions définies.
Pourtant, cette compétence physiologique à s'autoréguler, parce qu'elle est modulée par des facteurs psychologiques, sociaux et environnementaux, est fragile, comme en témoigne le nombre sans cesse croissant de personnes qui souffrent de surpoids ou qui ne peuvent plus manger sans angoisse ni culpabilité.
Quand manger devient problématique
A de rares exceptions près, nous avons tous tendance à parfois faire des excès, par gourmandise ou pour calmer notre stress, puis à compenser en faisant un peu attention. Là où cela devient problématique, c'est lorsque ces petits dérapages deviennent un mode de fonctionnement unique, qu'ils s'inscrivent dans la durée et sont accompagnés de culpabilité. Cela peut donner lieu à des dérégulations du comportement alimentaire plus ou moins graves, allant jusqu'au diagnostic psychiatrique de trouble du comportement alimentaire.
Parmi les dérégulations les plus courantes figure la restriction cognitive, c'est-à-dire vouloir manger le plus sainement possible ou vouloir maigrir en se privant et en se fixant des règles externes qui supplantent les règles internes que sont la faim, la satiété et les préférences alimentaires. C'est une façon redoutable de déréguler la machine. D'abord, parce que la restriction cognitive nous éloigne de nos envies et de nos besoins. Ensuite, parce qu'il n'y a rien de tel que les interdits pour entraîner des transgressions, puis la perte de contrôle avec son lot de honte, de culpabilité et de règles toujours plus nombreuses et contraignantes sur ce qu'il convient de manger ou d'éviter.
Autre dérégulation fréquente du comportement alimentaire: le grignotage. Celui-ci se caractérise par le fait de manger un peu n'importe quoi, n'importe quand, n'importe où, de manière répétée, à la va-vite et tout en faisant autre chose. Il répond en fait à l'envie, et non à la faim, et devient problématique lorsque la personne n'arrive plus à se contrôler sur le long terme.
Quand on parle du trouble du comportement alimentaire
Vouloir contrôler en permanence son alimentation pour éviter de prendre du poids ou pour en perdre n'est pas sans danger. A plus ou moins court terme, cela entraîne le risque de basculer dans les extrêmes. Il y a les personnes qui se contrôlent en permanence et se privent de manger, comme c'est le cas avec l'anorexie mentale. Celle-ci se caractérise par le refus de maintenir un poids normal, la peur intense de prendre du poids, une altération de la perception du corps, un déni de la gravité de la maigreur. Elle peut être restrictive uniquement ou avec crises de boulimie et vomissements.
Le revers de la médaille de la restriction alimentaire est de tomber dans la boulimie, comme cela se produit pour de nombreuses personnes qui entament des régimes trop sévères.
La boulimie est caractérisée par des crises de boulimie, c'est-à-dire l'absorption d'une grande quantité d'aliments en une période de temps limitée, le sentiment d'une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise, une sensation de plaisir et de soulagement au début, puis très vite de honte et de culpabilité. Les crises sont accompagnées de comportements compensatoires pour éviter de prendre trop de poids, par exemple le sport excessif, le jeûne ou les vomissements. On observe également un lien excessif entre la silhouette et l'estime de soi.
Enfin, l'hyperphagie boulimique est un trouble du comportement alimentaire proche de la boulimie. La personne a des crises de boulimie, mais n'utilise pas de comportement compensatoire. Elle va donc fréquemment souffrir de surpoids ou d'obésité.
Pour prendre en charge l'obésité
Des études américaines récentes ont permis d'établir que 50% des personnes obèses avaient des troubles du comportement alimentaire et que plus le BMI (indice de masse corporelle) augmentait, plus il y avait de troubles du comportement alimentaire.
Une indication importante puisqu'elle a débouché sur une autre approche de la prise en charge d'une personne obèse. Aujourd'hui, on sait que se limiter aux aspects nutritionnels ne suffit pas et qu'il faut impérativement intégrer les autres dimensions de l'alimentation: le comportement alimentaire, les sensations grâce à un travail sur le goût, la gestion des émotions, l'estime de soi et l'activité physique.
Accompagner un patient obèse est donc un travail multidisciplinaire qui ne peut se concevoir que sur la durée et avec la collaboration active du patient.
Les stades de motivation
Changer de comportement, on le sait, est une tâche difficile et de longue haleine puisqu'il s'agit de combattre des habitudes parfois ancrées depuis longtemps. Prendre en compte le stade de motivation du patient est donc primordial: on ne tient pas les mêmes propos à quelqu'un qui est dans le déni de son problème de poids ou à quelqu'un qui a déjà amorcé un changement.
Face au changement, que ce dernier concerne la nourriture, le tabac ou la boisson, nous passons en effet tous par différentes étapes que les psychologues ont nommées stades de motivation. Et chacun de ces stades appelle une intervention différente.
- La précontemplation: le patient nie son problème et n'envisage pas de changement. L'intervenant l'informe des risques sans insister et lui faire part de ses inquiétudes.
- La contemplation: le patient reconnaît l'existence d'un problème, mais reste ambivalent face au changement. L'intervenant favorise la prise de conscience.
- La préparation: le patient exprime sa volonté et sa décision d'agir.
- L'intervenant l'aide à trouver une stratégie de changement, soutient sa volonté d'agir et fixe des objectifs concrets à court terme.
- L'action: le patient met concrètement en route le changement de comportement. L'intervenant soutient ses efforts, encourage et valorise les stratégies d'action.
- La maintenance: le patient a retrouvé un équilibre. L'intervenant soutient sa motivation et encourage les bonnes attitudes plutôt que de stigmatiser les mauvaises.
- La rechute: le patient a craqué. L'intervenant lui rappelle ce qui le motivait au changement, dédramatise la rechute qui fait partie du processus et en analyse les circonstances, de manière que le patient soit mieux armé à l'avenir.
Un aliment, c'est quoi?
Tout ce qu'on mange et boit contient des nutriments qui correspondent aux pièces détachées de l'aliment une fois digéré. Ils sont divisés en plusieurs groupes et représentés sous la forme de la pyramide alimentaire qui permet d'illustrer la notion d'équilibre alimentaire du point de vue de la quantité et de la qualité. Ceux qui sont à la base peuvent donc être consommés en plus grande quantité que ceux figurant au sommet.
A la base, on trouve donc l'eau, la seule boisson indispensable. Comme le thé, le café ou la tisane, elle est non énergétique.
Recommandation: 1,5 l par jour. Les boissons sucrées, à base de lait, de jus de fruits ou alcoolisées sont en revanche énergétiques et à consommer avec modération.
Les fruits et légumes, crus ou cuits, nous assurent l'apport en glucides, vitamines, antioxydants, minéraux, fibres et eau.
Recommandation: 5 portions par jour.
Les farineux sont riches en glucides, en protéines végétales, en vitamines B, en magnésium et en fibres.
Recommandation: 3 fois par jour.
Les viandes, poissons et œufs contiennent des protéines de bonne valeur biologique, du fer, des vitamines B12 et A ainsi que des lipides.
Recommandation: 1 à 2 fois par jour, en variant les apports.
Les produits laitiers: calcium, phosphore et protéines animales, lipides, vitamines B (lait et fromage) et A (produits gras).
Recommandation: 2 à 3 fois par jour.
Les matières grasses et les fruits oléagineux. Lipides, vitamines A et D (beurre, crème), vitamine E (huiles et margarines).
Recommandation: environ 30 g à 40 g de matière grasse ajoutée.
Les produits sucrés. Saccharose, parfois lipides.
Recommandation: aliment plaisir à intégrer dans son alimentation.
Où se faire aider
Pharmacies Principales: Face à l'explosion des problèmes de santé liés au surpoids et à l'obésité, les Pharmacies Principales ont décidé de participer activement à la campagne de prévention lancée par l'OMS.
Les pharmaciens Bodycare peuvent répondre à vos questions concernant la diététique, le comportement alimentaire, le régime que vous avez l'intention de suivre ou encore l'activité physique. Ils ont suivi une formation approfondie dans l'accompagnement des personnes en excès de poids.
HUG: Service d'enseignement thérapeutique pour maladies chroniques, consultation d'obésité: 022 372 97 22
Service de psychiatrie de liaison, troubles alimentaires: 022 372 48 70
Association suisse des diététiciens, liste par canton sur www.asdd.ch