Oui ou non à l'alcool
Consommé de manière modérée, l’alcool est un allié contre les maladies cardiovasculaires. Mais c’est un puissant cancérigène. Faut-il, dès lors, le considérer comme un poison ou un médicament? Tout est, évidemment, question de mesure.
Par Jean-Charles Bastard, pharmacien
De nombreuses études épidémiologiques récentes suggèrent qu’une consommation légère à modérée d’alcool (un à deux verres de vin par jour chez la femme et un à trois verres par jour pour l’homme) diminue le risque de survenue des maladies cardiovasculaires (infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux).
Sa consommation s’accompagne en effet d’une augmentation du «bon cholestérol» (cholestérol des HDL) de l’ordre de 30% (Lucas et al., 2005, JACC-Gaziano et al., 1993). De plus, il réduit le risque de formation de caillots sanguins en diminuant la coagulation sanguine et l’agrégation plaquettaire.
Mais, si la consommation d’un verre de vin par jour diminue le risque d’infarctus du myocarde de 30% chez l’homme et de 40% chez la femme (Thun et al., NEJM, 1997), plus de trois verres par jour augmentent en revanche le risque d’autres problèmes cardiovasculaires, tels que l’hypertension artérielle, l’arythmie cardiaque, les accidents vasculaires cérébraux hémorragiques ou la cardiomyopathie (affection du muscle cardiaque évoluant à terme vers une insuffisance cardiaque) (JAMA, 285 (15) : 2004-2005).
Un puissant cancérigène
Selon une étude italienne récente (Giovanni Corrao et al., 2004), boire un peu plus de deux verres standard par jour (25g d’alcool) augmente par ailleurs le risque de cancer de la bouche et du pharynx de 86%. Le risque est multiplié par 6,5 (+ 554%) lorsque la consommation s’élève à 100g d’alcool par jour.
Une étude des chercheurs de Harvard (Smith-Warmer et al., 1998), parue dans le Journal of the American Medical Association, confirme que l’alcool est toxique même à très faible dose. La consommation quotidienne d’un verre standard (10g d’alcool) augmente le risque de cancer du sein de 10% chez les femmes.
Et ce risque est proportionnel à la quantité ingérée : trois verres d’alcool quotidiens augmentent le risque de 30%, et ce dernier est de 141% pour 10 verres par jour.
Effet de l’alcool sur la mortalité globale
L’alcool a donc un effet paradoxal sur notre santé : à dose modérée, il optimise notre protection contre les accidents cardiovasculaires, mais il est aussi un puissant pourvoyeur de cancers. Dès lors, que représentent, en termes de risques et de bénéfices, les effets de sa consommation sur la mortalité globale?
Comme l’illustre le graphique ci-contre, les études d’épidémiologie ont démontré que, lorsque l’on consomme de l’alcool à faible dose, l’effet cancérigène est peu important, tandis que l’effet protecteur sur le système cardiovasculaire est intéressant.
A partir de là, quelle est la dose à ne pas dépasser pour ne pas augmenter notre risque de mortalité toutes causes confondues ? Et quelle est la dose optimale pour une diminution significative du risque de décès ?
Selon des études récentes, le risque de mortalité pour une femme consommant deux verres quotidiens et pour un homme consommant trois, voire quatre, verres quotidiens est le même que pour une personne qui ne boit pas d’alcool (Di Castelnuevo et al., Arch Inter Med., 2006). Au-delà, plus on boit, plus la mortalité globale augmente.
En ce qui concerne la dose optimale, une étude publiée en 1997 dans le New England Journal of Medicine (Thune et al.) a démontré qu’un verre par jour diminue la mortalité globale de 20% chez les femmes comme chez les hommes.
Une étude plus récente sur des hommes (Gaziano et al., 2000) a conclu qu’un verre par semaine diminuait le risque de 26%, deux à quatre verres par semaine de 23%, cinq à six verres par semaine de 22%, un verre par jour de 18% et plus de deux verres par jour de 5%.
Pour bénéficier d’une protection maximale contre le risque de décès par rapport aux non-buveurs de vin, la consommation optimale d’alcool se situe donc entre un et six verres par semaine.
Mortel apéro
Le moment où l’on consomme de l’alcool est également un facteur clé de sa toxicité potentielle sur notre organisme.
Des études ont démontré l’effet positif de sa consommation durant les repas sur la coagulation sanguine et les lipides. Ainsi, le vin rouge semble diminuer l’oxydation du «mauvais cholestérol», cause principale de la formation de la plaque d’athérome. Selon une étude new-yorkaise (Strangles et al.), boire pendant ou en dehors des repas semble avoir un effet sur le risque d’hypertension, et ceci indépendamment de la quantité consommée.
Ainsi, boire quotidiennement de l’alcool en dehors des repas augmente de 40% le risque d’hypertension, tandis qu’il le diminue de 10% si on le consomme pendant les repas. Une étude italienne (Trevistan et al., 2001) montre pour sa part que l’alcool pris pendant les repas diminue le risque de décès dû au cancer de 17%, mais que le risque double lorsqu’il est absorbé en dehors (+ 202%). Par ailleurs, la consommation d’alcool en l’absence d’aliments annulerait ses effets bénéfiques sur notre santé.
L’effet toxique de l’alcool varie d’une personne à l’autre et dépend de la quantité absorbée. Mais il n’en demeure pas moins que c’est un puissant pro-oxydant. Le métabolisme de l’alcool (Alcool DH, CYP 450) génère en effet des radicaux libres de façon massive, responsables de l’oxydation de l’ADN, et donc de mutations génétiques potentiellement cancéreuses. Ces radicaux libres agressent également notre cholestérol, responsable à long terme des maladies cardiovasculaires.
Que faire en pratique?
Si votre consommation est supérieure à vingt et un verres par semaine, vous devriez envisager dans un premier temps de la réduire à trois verres par jour pour les hommes et deux verres par jour chez les femmes.
Dans un deuxième temps, pour bénéficier des effets maximums de l’alcool en minimisant son rôle potentiellement toxique, vous ne devriez pas boire plus d’ un à six verres par semaine. Dans tous les cas, vous devriez aussi souvent que possible privilégier la consommation d’alcool durant les repas et, si possible, de vin rouge pour sa richesse en antioxydants puissants.
Si vous ne consommez pas d’alcool, d’autres stratégies de protection de votre santé peuvent être mises en place, telles que l’exercice physique, l’arrêt du tabac et une alimentation équilibrée et riche en antioxydants (fruits et légumes).
La consommation de thé vert permet par ailleurs d’obtenir les effets bénéfiques du vin rouge sans ses inconvénients, grâce à sa haute teneur en antioxydants puissants.
Enfin, si vous prenez des médicaments et que vous consommez de l’alcool, parlez-en à votre médecin ou à votre pharmacien, puisque ce dernier peut diminuer ou augmenter l’effet de certains médicaments.
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