Petite histoire de la contraception
Bouchon en excréments d’alligator, capote en intestin de mouton, demi-citron évidé: l’être humain n’a jamais manqué d’imagination pour limiter les naissances.
Par Patricia Bernheim
Que n’a-t-on pas fait pour éviter des grossesses?
Il semble que, partout dans le monde et à toutes les époques, les femmes ont toussé, sauté, éternué et massé vigoureusement leur ventre pour expulser le sperme et, avec lui, une descendance indésirable. Comme la méthode restait pour le moins aléatoire, les anciens ont mis au point des douches spermicides, composées d’huile, de vinaigre et de citron. On a également retrouvé des recettes mentionnant de l’alun, de la ciguë, du thé vert, des racines de framboisier, de la poudre de plomb, du bicarbonate de soude, de l’acide, de la strychnine ou de l’alcool.
Si certains de ces produits ont en effet des qualités spermicides, ils n’étaient pas dénués de danger. Le résultat dépassait alors toute espérance, puisque la pauvre femme, si elle survivait au traitement, se trouvait ensuite dans l’incapacité d’enfanter pour le restant de ses jours. L’idée d’empêcher la progression du sperme grâce à des barrières, ou des ovules, est elle aussi très ancienne.
En Egypte, des documents écrits, remontant à 3000 ans av. J.-C., mentionnent l’utilisation de suppositoires vaginaux faits à base de pâte de levain et d’excréments séchés de crocodile. Dans d’autres pays, la préférence va aux excréments d’éléphant. La plupart de ces ovules contenaient une matière huileuse ou visqueuse, comme du lard ou de l’huile d’olive, afin de barrer le chemin du sperme.
En Afrique, beaucoup plus récemment, certaines tribus utilisaient des bouchons à base de purée de tubercule, d’algues ou de chiffons mélangés à des herbes médicinales. Des textes médicaux, remontant à l’Antiquité, font aussi référence à quantité de potions à ingurgiter, méthode moins contraignante que les préservatifs ou les pessaires, mais, elle aussi, infiniment plus dangereuse. Ainsi, il était recommandé de boire l’eau avec laquelle on avait lavé un mort et de manger du pain contenant des morceaux de ruche et des abeilles mortes.
Ailleurs, on recommande des infusions faites à partir d’écorces de différents arbres, de jaune d’œuf, de bave de chameau, de plantain et de safran. Dans certaines régions, on fabriquait des pilules d’huile, de mercure et d’eau ayant servi aux forgerons pour refroidir leur tenaille.
Jusqu’en 1930, dans les Alpes autrichiennes, on utilisait facilement de l’arsenic, aussi bien pour la contraception que pour l’avortement. Avec souvent des résultats désastreux…
Le préservatif dans tous ses états
Si le problème de la contraception est généralement dévolu aux femmes, les hommes s’en sont aussi souciés. Les premières traces de condom remonte à l’Egypte ancienne. On a retrouvé, sur des peintures murales, un genre de préservatif primitif sous forme de sachet de lin. L’objet était aussi connu des Chinois et des Japonais, qui le fabriquaient en cuir ou en écailles de tortue.
Les Romains et les Grecs, eux, ont développé des modèles réutilisables plusieurs fois, à partir d’intestins ou de vessies d’animaux. Pour freiner la fertilité, ils portaient également des amulettes faites d’une dent d’enfant, d’une bille de marbre, d’un morceau de foie de chat ou d’une matrice de lionne.
Le préservatif va connaître des hauts et des bas en fonction du contexte. Les épidémies de maladies vénériennes, comme celle de la syphilis au XVIe siècle, ont beaucoup contribué à son expansion.
En périodes de guerre, il était vivement recommandé aux soldats qui allaient se divertir avec des prostituées. Ainsi, dans l’Allemagne nazie, le préservatif était interdit au sein de la famille – il s’agissait de mettre au monde le plus grand nombre possible d’enfants de «race supérieure» –, mais chaudement recommandés aux soldats, afin d’éviter la propagation des maladies sexuellement transmissibles (MST) qui auraient pu décimer les troupes.
En 1844, Goodyear développe le caoutchouc vulcanisé, dont on ne fera pas que des pneus. Les entrailles animales sont abandonnées au profit de ce matériau plus hygiénique et plus sûr. La production de masse commence.
Elle connaît son apogée avec l’apparition du sida, au milieu des années 80. Comme à chaque épidémie, la sécurité et la prévention prennent le pas sur la contraception. Aujourd’hui encore, c’est le seul contraceptif qui protège des MST.
En attendant la pilule
En ce qui concerne les moyens contraceptifs destinés aux femmes, c’est également dès la fin du XIXe que de réels progrès sont accomplis. Inventé en 1880, le diaphragme était constitué d’une membrane en caoutchouc épais, qui devait être placée de manière à recouvrir le col de l’utérus.
Le latex a ensuite permis de fabriquer des pessaires beaucoup plus fins. Aujourd’hui, tombé en désuétude, il a été le moyen de contraception féminin le plus utilisé jusqu’à l’avènement de la pilule. Le premier stérilet, fabriqué à partir du ver à soie, aux environs de 1910, n’a pas connu beaucoup de succès. Il n’en ira pas de même pour les différents modèles inventés par les docteurs Oppenheimer et Ota, mis sur le marché entre 1927 et 1966.
Aux premiers dispositifs, faits d’anneaux métalliques, succède un stérilet en cuivre et plastique, moins toxique.
Dragée révolutionnaire
Au milieu des années 50, deux Américains mettent au point la pilule contraceptive, composée d’une association d’hormones très proches de celles produites par les ovaires (œstrogènes et progestérone). Les docteurs Pincus et Rock ne se doutaient certainement pas à quel point elle allait bouleverser profondément la société. En leur permettant de contrôler à 99% leur fertilité, la petite dragée devient en effet l’élément capital pour les femmes et leur libération.
Ne plus être soumises aux risques d’une grossesse leur permet d’être disponibles pour le monde du travail, de devenir autonomes financièrement, de faire carrière et de choisir le moment le plus opportun pour avoir des enfants.
Les premières expériences à large échelle, et avec des résultats probants, ont lieu en 1956 à Haïti et à Porto-Rico, deux régions touchées par la surpopulation.
En 1958, Pie XII condamne tout emploi de la pilule à des fins contraceptives, quelles que soient les conditions de la grossesse. Elle est commercialisée aux Etats-Unis en 1960, mais interdite en France jusqu’en 1967.
Depuis les premières pilules, de grands progrès ont été accomplis: les doses d’hormones utilisées ont fortement diminué, limitant ainsi les effets secondaires. La minipilule, la micropilule, la séquentielle lui ont succédé.
Aujourd’hui, la contraception hormonale peut aussi être administrée sous la forme d’un petit bâtonnet, implanté sous la peau, sur la face interne du bras. Il libère régulièrement une hormone qui bloque l’ovulation, et ce pendant trois ans.
Pour limiter le nombre d’avortements, la pilule du lendemain a vu le jour en 1999. Fortement dosée, elle provoque souvent des effets secondaires importants. Son utilisation doit donc rester exceptionnelle, par exemple à la suite d’un oubli de pilule ou un incident de préservatif ou de Femidom, soit du condom pour les femmes.
Le Femidom est le moyen de contraception féminin permettant aussi de prévenir les MST. Il souffre de son prix élevé et d’être totalement antiglamour. D’où son absence de succès.
Plusieurs méthodes ont été plus récemment commercialisées. Parmi elles: les anneaux vaginaux, qui contiennent un progestatif et sont mis en place pour trois mois; l’administration, par spray nasal, d’œstrogènes et de progestérone; les patchs, qui diffusent des hormones en continu pendant une semaine. Sans oublier, bien sûr, la pilule pour hommes… Mais, pour que les laboratoires mettent un peu plus d’empressement à la fabriquer, il faudra d’abord vaincre la résistance psychologique de ces messieurs.